Avis 20224050 Séance du 08/09/2022

Maître X, conseil de la société X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 27 juin 2022, à la suite du refus opposé par le président du conseil régional de La Réunion à sa demande de copie, par courrier électronique ou par un lien de téléchargement, des avis rendus par le maitre d’œuvre du conseil régional de La Réunion dans le cadre de l’exécution des deux marchés suivants : 1) le marché de travaux n° 4 (MT4) ayant pour objet la réalisation du viaduc de 240 m de La Grande Chaloupe qui a été attribué au groupement d'entreprises X pour un montant de 34,6 M€ HT, signé le 29 octobre 2013 ; 2) le marché de travaux n° 5.1 (MT5.1) Digue en mer – 1ère phase, ayant pour objet la réalisation de 4 tronçons de digues (D1, D2, D3 et D4) d’une longueur de 3,6 km, attribué fin octobre 2013 au groupement d'entreprises X pour un montant de 438 M€. La Commission, qui a pris connaissance des observations du président du conseil régional de La Réunion, rappelle qu'aux termes des 1er et 2e alinéas de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) : « Le droit à communication ne s'applique qu'à des documents achevés. Il ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration ». En application de ces dispositions, la Commission distingue ainsi deux types de documents : - les documents inachevés en la forme, tels que les ébauches, brouillons et versions successives d'un document, qui précèdent l'élaboration d'un document complet et cohérent, et qui ne peuvent être communiqués en l'état. Seul le document achevé sera communicable, le cas échéant. - les documents préparatoires, lesquels ont acquis leur forme définitive, mais dont la communication est subordonnée à l’intervention de la décision administrative qu'ils préparent. La Commission précise qu'un document conserve un caractère préparatoire aussi longtemps que la décision administrative qu'il prépare n'est pas intervenue ou que l'administration n'y a pas manifestement renoncé, à l'expiration d'un délai raisonnable. Elle ajoute que la circonstance que le document comporte des inexactitudes ou erreurs, ou qu'il puisse éventuellement être modifié à l'avenir, notamment par ajout ou actualisation, ne lui confère pas de ce seul fait un caractère inachevé, en particulier lorsque l'échéance de la modification reste indéterminée. En l’espèce, la Commission relève, d’une part, qu’un avis du maitre d’œuvre correspondant au point 1), bien que qualifié d’ébauche, a effectivement été transmis au conseil régional de La Réunion à la suite d’un mémoire en réclamation du décompte général que la société demanderesse a présenté sur le fondement de l’article 50 du CCAG Travaux, le 10 juillet 2019. Elle constate, d’autre part, que cet avis a précédé l’élaboration d’une décision administrative de rejet de la réclamation pour cause de forclusion, le cas échéant implicite, ainsi que le prévoit la procédure prévue par les dispositions des articles 50.1.2. et 50.1.3. du CCAG Travaux. Enfin, s’il ressort des pièces du dossier qu’un recours contentieux devant la juridiction administrative suivie d’une médiation judiciaire ont ultérieurement été initiés et si l’autorité saisie fait référence dans ses écritures, à un avis qui sera émis à cet occasion, la Commission estime que cet avis, qui interviendra plus de deux ans après l’avis initial mentionné au point 1), ne s’inscrit pas dans le processus de décision initial évoqué ci-dessus et constitue, dès lors, un nouvel avis émis lors d’une phase distincte. La Commission déduit de ces éléments que l’intervention de la décision du maître d’ouvrage rejetant la réclamation pour forclusion a fait perdre à l’avis du maître d’œuvre sollicité son caractère inachevé et préparatoire, lequel est depuis lors, librement communicable au demandeur sous réserve, le cas échéant, de l'occultation des mentions susceptibles de porter atteinte au secret des affaires, protégé par les dispositions de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Elle émet, sous ces réserves, un avis favorable. S'agissant du point 2) de la demande, le président du conseil régional de La Réunion a informé la Commission que l'avis produit par le maître d’œuvre sur la réclamation formulée dans le cadre de l'exécution du marché de travaux n° 5 revêt toujours un caractère préparatoire dès lors que "la position de la collectivité n'est pas encore arrêtée". La Commission relève toutefois, en premier lieu, que le litige a été porté devant la juridiction administrative par le groupement titulaire du marché - auquel, au demeurant, la société X n'appartient pas - et fait actuellement l'objet d'une médiation judiciaire. La Commission en déduit que la réclamation a ainsi été implicitement mais nécessairement rejetée, de sorte que le document demandé ne saurait revêtir un caractère préparatoire. La Commission rappelle en second lieu que les dispositions du f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration font obstacle à la communication de documents dans l'hypothèse où celle-ci est de nature à porter atteinte « au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ». Dans sa décision du 21 octobre 2016 n° 380504 (aux tables), le Conseil d’État a jugé que si la seule circonstance que la communication d’un document administratif soit de nature à affecter les intérêts d’une partie à une procédure juridictionnelle, ou qu’un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d’une instance engagée devant elle, ne fait pas obstacle à la communication de ces documents, est en revanche exclue la communication des documents administratifs, sauf autorisation donnée par l’autorité judiciaire ou par la juridiction administrative compétente, dans l’hypothèse où cette communication risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives de cette autorité ou de cette juridiction. En l'espèce, il n'apparaît pas que la communication de l'avis demandé entraverait ou compliquerait l'office du juge. La commission estime, dès lors, que les dispositions du f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration ne font pas obstacle à la communication de cet avis. En troisième lieu, la Commission rappelle qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L213-2 du code de justice administrative : "Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d'une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l'accord des parties." Elle relève que le document sollicité n'est pas couvert par le principe de confidentialité de la médiation dès lors qu'il ne procède ni des constatations du médiateur ni des déclarations recueillies au cours de la médiation. Il n'est en tout état de cause pas allégué que le document demandé serait inclus dans le dossier de médiation. En quatrième et dernier lieu, la Commission précise que l'article L311-6 fait obstacle à la communication à un tiers, en son 1°, des documents protégés par le secret des affaires et en son 3°, des documents qui révéleraient un comportement susceptible de nuire à son auteur, que ce dernier soit une personne physique ou une personne morale (avis n° 20132830 du 24 octobre 2013 et CE, n° 392711, du 21 octobre 2016, Union départementale CGT d'Ille-et-Vilaine). En application de ce 3°, les documents infligeant une pénalité à un cocontractant d'une personne publique ou les mentions d'un document faisant état de manquements d'un prestataire dans le cadre de l'exécution d'un marché public ne sont donc pas communicables à un tiers. La Commission précise également qu'en application de l'article L311-7, lorsque les occultations auxquelles il doit être procédé en vertu des dispositions rappelées ci-dessus priveraient de sens le document ou d'intérêt la communication, celle-ci peut être refusée par l'administration. En l'espèce, la Commission, qui constate que la société X a la qualité de tiers par rapport au document sollicité, dont elle n'a d'ailleurs pas pu prendre connaissance, émet, dès lors, un avis favorable au point 2) de la demande, sous les réserves précitées.