Avis 20223822 Séance du 08/09/2022
Madame X, X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 15 juin 2022, à la suite du refus opposé par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire à sa demande de communication, sous forme électronique (soit Excel soit autre format numérique, ouvert et réutilisable), des listes des bénéficiaires de la politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne, en France, pour chacune des années 2012 à 2019 incluses, comprenant :
1) les détails complets sur tous les bénéficiaires qui sont des personnes morales et sur toutes les personnes physiques qui ont reçu des subventions supérieures à la valeur totale de 1 250 € ;
2) les détails partiels sur les bénéficiaires inférieurs à ce montant ;
3) pour chaque bénéficiaire : son nom, sa commune de résidence ou d'immatriculation et, le cas échéant, le code postal ou la partie de celui-ci identifiant la commune, les montants de paiement correspondant à chaque mesure financée par les fonds reçus par chaque bénéficiaire au cours de l'exercice budgétaire concerné, la nature et la description des mesures financées par les fonds et au titre desquelles le paiement est accordé.
La commission, qui a pris connaissance des observations du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire rappelle, en premier lieu, que, de façon générale, la liste des bénéficiaires d’aides versées par une personne publique et comportant le montant de ces aides, dès lors qu’elle existe ou peut être établie par un traitement automatisé d’usage courant, constitue un document administratif entrant dans le champ d’application du titre III du code des relations entre le public et l’administration. En conséquence, ce document est communicable sous réserve que cette communication ne se heurte pas au secret de la vie privée ou au secret des affaires, protégés par l’article L311-6 du code précité.
S'agissant plus précisément d'aides versées à des personnes physiques ou à des sociétés à caractère civil ou commercial, la commission considère qu'il convient d'opérer une distinction selon la nature des aides versées et leur mode de calcul. Pour les aides versées en considération de la situation d'une personne physique ou dont le calcul est fonction de celle-ci, la commission estime que le secret de la vie privée fait obstacle à la communication de la liste des bénéficiaires de telles aides. En revanche, lorsqu'il s'agit d'aides versées pour l'exercice d'une activité économique ou culturelle ou encore pour améliorer l'état de l'environnement, indépendamment de la situation personnelle d'une personne physique, la commission estime que le nom des bénéficiaires de ces aides, que ce soient des personnes physiques ou des personnes morales, n'est pas couvert par le secret de la vie privée ni par le secret des affaires. Il en va de même du montant de l'aide perçue sous réserve que la révélation de ce montant ne permette pas d'en déduire une information couverte par le secret des affaires, tel que le montant du chiffre d'affaires ou celui d'un investissement.
La commission précise, en second lieu, que le livre III du code des relations entre le public et l'administration ne fait pas obligation aux autorités administratives de répondre aux demandes de renseignements qui leur sont adressées, ni d'élaborer un document nouveau en vue de procurer les renseignements ou l'information souhaités (CE, 30 janvier 1995, Ministre d'État, Ministre de l’éducation nationale, n° 128797 ; CE, 22 mai 1995, Association de défense des animaux victimes d'ignominie ou de désaffection, n° 152393).
En revanche, la commission considère de manière constante que sont des documents administratifs existants au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration, ceux qui sont susceptibles d’être obtenus par un traitement automatisé d’usage courant. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 13 novembre 2020, n° 432832, publié aux Tables, que constituent des documents administratifs au sens de ces dispositions, les documents qui peuvent être établis par extraction des bases de données dont l’administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable laquelle doit être interprétée de façon objective.
La commission précise, à ce titre, que les informations demandées doivent pouvoir être obtenues par un traitement automatisé de données, sans retraitements successifs, en particulier par des interventions manuelles. Elle estime également que, lorsque les informations sollicitées doivent, pour être extraites d'un fichier informatique, faire l'objet de requêtes informatiques complexes ou d'une succession de requêtes particulières qui diffèrent de l'usage courant pour lequel le fichier informatique dans lequel elles sont contenues a été créé, l'ensemble des informations sollicitées ne peut alors être regardé comme constituant un document administratif existant. Une demande portant sur la communication d'un tel ensemble d'informations doit dès lors être regardée comme tendant à la constitution d'un nouveau document (conseil n° 20133264 du 10 octobre 2013 ; avis n° 20222850 du 23 juin 2022) et, par suite, être déclarée irrecevable.
En l'espèce, en réponse à la demande qui lui a été adressée, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a informé la commission que les informations sollicitées sont regroupées dans des fichiers annuels comportant de l’ordre de 1,7 million d’enregistrements, détaillant chacun le montant attribué par bénéficiaire et par rubrique. L'autorité ministérielle a en outre précisé que le travail d'occultation rendu nécessaire pour permettre la libre communication de ces données à la demanderesse, conformément aux règles posées par le CRPA, supposerait de mobiliser des moyens qui excèderaient le traitement automatisé d'usage courant.
La commission en prend note et déduit de ces éléments que les informations sollicitées supposeraient en l'état un travail complexe de traitement des données disponibles et ne sont donc pas susceptibles d'être obtenues par un traitement automatisé d'usage courant. Par suite, elle déclare, en l'état, irrecevable la demande d'avis en ce qu'elle tend à l'établissement d'un nouveau document.
Elle prend toutefois note de l'intention du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de procéder à la transmission à Madame X d'un jeu de données publié en ligne, susceptible de satisfaire au moins en partie la demande, après contrôle de leur véracité et occultation des mentions protégées en application des principes rappelés ci-dessus.