Avis 20221692 Séance du 21/04/2022

Maître X, pour la société X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 10 mars 2022, à la suite du refus opposé par la présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) à sa demande de copie, par voie électronique, des documents suivants relatifs à l'adoption par l'ARCEP de sa décision par laquelle elle a estimé qu'il n'était pas nécessaire de demander la modification de l'accord de mutualisation de réseaux mobiles conclu entre X et X le 3 février 2020 et modifié par avenant le 16 décembre 2020 : 1) les convocations adressées par l'ARCEP aux membres de la formation plénière en vue de l'adoption de cette décision ; 2) les projets de communiqués de presse transmis aux membres en vue d'établir ladite décision ; 3) l'avis de la directrice générale de I'ARCEP concernant les ordres du jour des séances plénières en rapport avec cette décision ; 4) toute éventuelle question qui aurait été posée par un ou plusieurs membres sur les ordres du jour des séances plénières relatives à cette décision ; 5) toute note de travail (rapport, étude, présentation, note de synthèse notamment) des membres de I'ARCEP relative à l'instruction de l'accord de mutualisation de réseaux mobiles conclu entre X et X ; 6) tout courrier (comprenant tout courrier électronique) et toute pièce envoyés ou reçus par les membres de l'ARCEP dans le cadre des échanges intervenus du 28 février 2020 au 13 avril 2021 entre X et X, d'une part, et I'ARCEP, d'autre part ; 7) toute pièce détenue et/ou élaborée par l'ARCEP dans le cadre de la procédure ayant permis d'établir ladite décision, décrite dans ses lignes directrices relatives au partage de réseaux mobiles de mai 2016, notamment lors de : a) la phase contradictoire entre I'ARCEP et les co-contractants et ; b) la phase de formalisation de l'analyse et la mise en consultation publique, impliquant l'analyse « in concreto » de l'accord de mutualisation et devant conduire I'ARCEP à informer les parties des conclusions qu'elle envisage d'en tirer. La Commission relève, à titre liminaire, que l’ARCEP est une autorité administrative indépendante (AAI) chargée de la régulation des secteurs des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, au nom de l’État. Elle en déduit que les documents que cette administration détient ou produit dans le cadre de sa mission de service public constituent des documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, soumis au droit d'accès prévu par le livre III de ce code. 1. Présentation du cadre juridique de la demande : Les dispositions législatives encadrant le statut et le rôle de l’ARCEP figurent dans le code des postes et des communications électroniques (CPCE) aux articles L36-5 et suivants et L130 et suivants, notamment. Aux termes de l’article L34-8-1-1 de ce code : « Le partage des réseaux radioélectriques ouverts au public fait l'objet d'une convention de droit privé entre opérateurs titulaires d'une autorisation d'utilisation de fréquences radioélectriques pour établir et exploiter un réseau ouvert au public. Cette convention détermine les conditions techniques et financières de fourniture de la prestation, qui peut porter sur des éléments du réseau d'accès radioélectrique ou consister en l'accueil sur le réseau d'un des opérateurs de tout ou partie des clients de l'autre. (…) La convention est communiquée, dès sa conclusion, à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. Lorsque l'autorité constate que cela est nécessaire à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L32-1 ou au respect des engagements souscrits au titre des autorisations d'utilisation de fréquences radioélectriques par les opérateurs parties à la convention, elle demande, après avis de l'Autorité de la concurrence, la modification des conventions déjà conclues, en précisant leur périmètre géographique, leur durée ou les conditions de leur extinction. » La Commission relève qu’en application de ces dispositions, l’ARCEP procède à une analyse in concreto des conventions de partage de réseaux radioélectriques ouverts au public, apprécie si leur exécution est susceptible de faire obstacle à la réalisation des objectifs de régulation prévus à l’article L32-1 du CPCE et aux engagements souscrits par les opérateurs au titre des autorisations d'utilisation de fréquences radioélectriques et demande, le cas échéant et sous certaines conditions, leur modification par les opérateurs concernés. Les étapes de la procédure ont été précisées dans des lignes directrices publiées sur le site Internet de l’ARCEP, le 25 mai 2016. En l’espèce, l’ARCEP a été rendue destinataire de l’accord de mutualisation de réseaux mobiles conclu entre les opérateur X et X le 3 février 2020, modifié par avenant le 16 décembre suivant, qu’elle a examiné conformément aux dispositions précitées de l’article L36-8-1-1 du CPCE. Au terme de cet examen, elle a estimé, par une décision qui a été révélée par un communiqué de presse du 13 avril 2021, qu’il n’était pas nécessaire de demander la modification de cet accord. Un recours contentieux contre cette décision a été introduit devant le Conseil d’État par un autre opérateur, la société X, le 11 juin 2021. Cette société a par ailleurs adressé deux demandes successives de communication de documents administratifs en lien avec l’adoption de cette décision, le 5 octobre 2021 et le 16 décembre 2021. 2. Communicabilité des documents demandés : 2.1. S’agissant de l’ensemble des documents : La Commission observe que la seule circonstance que la décision prise par l'ARCEP fasse l'objet d'un recours contentieux devant le Conseil d'État ne suffit pas à regarder la communication des documents sollicités comme étant de nature à porter atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions au sens du f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration. Cette restriction au droit d'accès ne trouve en effet à s'appliquer que lorsque la communication des documents est de nature à porter atteinte au déroulement de l'instruction, à retarder le jugement de l'affaire, à compliquer l'office du juge ou à empiéter sur ses compétences et prérogatives, ce qui ne paraît pas être le cas en l'espèce. 2.2. S’agissant des points 1), 2), 3), 4) et 6) : La Commission relève, en premier lieu, qu’en réponse à la demande qui lui a été adressée, la présidente de l’ARCEP lui a indiqué que les documents mentionnés aux points 1), 3) 4) et 6) soit n’existent pas, soit ont déjà été transmis à l’occasion de la première de demande de communication. La Commission en prend note et déclare, dans cette mesure, la demande d’avis sans objet. En second lieu, la Commission déduit des informations portées à sa connaissance que la demande est irrecevable en son point 2), s’agissant d’un document inachevé au sens de l’article L311-2 du CRPA. 2.3. S’agissant des points 5) et 7) : 2.3.1. En ce qui concerne les secrets protégés par la loi : La présidente de l’ARCEP a indiqué que la communication aux tiers des documents mentionnés aux points 5) et 7) de la demande, et tout particulièrement des « notes collège » - documents rédigés par ses agents qui exposent aux membres du collège les enjeux liés aux projets de décisions ou aux orientations proposées, ainsi que les problématiques, notamment économiques et juridiques, susceptibles de se poser - affecterait la sérénité du processus d’élaboration des décisions prises et plus généralement l’exercice de sa mission de régulation et ses garanties d’indépendance. La Commission estime que ces arguments doivent être rattachés à la réserve prévue au h) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration, qui prévoit que ne sont pas communicables les documents dont la communication porterait atteinte à un secret protégé par la loi. Elle précise que seuls les secrets bénéficiant dans la hiérarchie des normes d’un régime de protection fixé par une loi ou par des textes ou principes de valeur supérieure entrent dans le champ de cette réserve. En premier lieu, la présidente de l’ARCEP se prévaut d’une obligation de confidentialité des « notes collège », qui contribuerait à l’exigence particulière d’indépendance avec laquelle les autorités européennes ont expressément souhaité que les autorités de régulations nationales exercent leur mission, consacrée par le considérant (35) du préambule de la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen, transposée par l’ordonnance n° 2021-650 du 26 mai 2021. Ces dispositions prévoient que « certaines tâches relevant de la présente directive, telles que la régulation ex ante du marché, y compris l’imposition d’obligations d’accès et d’interconnexion, et le règlement des litiges entre entreprises, sont des tâches qui devraient être exercées uniquement par les autorités de régulation nationales, à savoir des organismes qui sont indépendants à la fois du secteur et de toute intervention extérieure ou pression politique ». La Commission estime, toutefois, que ces dispositions doivent être combinées avec celles du considérant liminaire (57) de cette même directive qui prévoient la mise à disposition du public des informations recueillies par les autorités de régulation nationales et les autres autorités compétentes « sauf si elles sont confidentielles conformément aux règles nationales en matière d’accès du public à l’information et sous réserve des règles de l’Union et des règles nationales en matière de confidentialité des informations commerciales ». Elle ne déduit de ces dispositions aucune règle de secret particulière susceptible d’être qualifiée de secret protégé par la loi, justifiant un refus de communication des notes collège de l’ARCEP. Elle relève que les dispositions nationales sur le droit d’accès aux documents administratifs, qui assurent en particulier la préservation du secret des affaires, constituent des garanties suffisantes pour préserver l’indépendance de l’ARCEP et rappelle, à cet égard, les termes de son avis de partie II, n° 20184341, du 8 novembre 2018, selon lequel l’exception tirée de la confidentialité des informations commerciales au sens du droit de l’Union européenne doit demeurer stricte et s’apprécier au regard des éléments définis au 1° de l’article L311-6 du CRPA, qui dispose que le secret des affaires comprend le secret des procédés, le secret des informations économiques et financières et le secret des stratégies commerciales ou industrielles. En deuxième lieu, la commission constate que le « secret de l’instruction du litige » prévu par l’article L36-8 du CPCE ne concerne que le cas où l’ARCEP tranche des litiges entre opérateurs. Ce secret ne saurait donc en l’espèce faire obstacle à la communication des documents demandés, qui été produits dans le cadre de la procédure prévue par l’article L34-8-1-1 de ce code. En troisième lieu, la Commission relève que l’article L132 du code des postes et des communications électroniques selon lequel : « Les personnels des services de l'autorité sont tenus au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en raison de leurs fonctions » a une portée générale, analogue à celle de l’article 26 de la loi du 13 juillet 1983 applicable à tout fonctionnaire, repris dans le code général de la fonction publique, lequel ne peut être opposé aux demandes portant sur des documents communicables en vertu de la législation sur le droit d’accès aux documents administratifs (CE, 20 mars 1992, n° 117750, avis n° 20081647 du 6 mai 2008). Cet article ne peut dès lors être regardé pour l’application du code des relations du public avec l’administration comme instituant un secret protégé par la loi justifiant un refus de communication des documents demandés (par analogie, pour les documents adressés à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques : avis n° 20192201, du 7 novembre 2019). En quatrième et dernier lieu, la Commission relève que l’article 9 de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes dispose que « Les membres et anciens membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes sont tenus de respecter le secret des délibérations ». Elle précise que le respect du secret des délibérations a pour objet de faire obstacle à la diffusion publique des prises de position formulées par les membres d’une autorité administrative indépendante lors de l'examen des affaires qui leur sont soumises. En revanche, elle considère que la communication des documents sur la base desquels une autorité administrative indépendante a pris une décision ne porte pas nécessairement atteinte au secret de ses délibérations (par analogie, s’agissant du CSA, avis n° 20143014 et n° 20175542). Il n’en irait autrement que si ces documents, par leur nature et leur objet, s’avéraient indissociables des débats susceptibles de s'être tenus au sein de l’Autorité concernée (avis de partie II, n° 20156097, du 6 février 2016, s’agissant du CSA). La commission déduit de ce qui précède qu’en l’espèce, aucun « secret protégé par la loi », au sens du h du 2° de l'article L311-5 du CRPA, ne fait obstacle par principe à la communication des « notes collège » de l’ARCEP, ainsi que plus généralement à ses documents internes de travail. 2.3.2. En ce qui concerne le secret des affaires : La Commission précise que ne sont communicables qu'à la personne intéressée, en application des dispositions de l'article L311-6 de ce code, les documents dont la communication porterait atteinte au secret des affaires. En l’espèce, la présidente de l’ARCEP précise que les documents sollicités comportent de très nombreuses mentions couvertes par ce secret. La Commission en prend note et relève que les documents demandés ont été produits à l’occasion de l’examen par l’ARCEP, exerçant des fonctions de régulateur sectoriel, d’une convention de partage de réseaux mobiles entre deux opérateurs. Elle souligne le caractère hautement concurrentiel du secteur régulé et relève que le secret des affaires est d’ailleurs expressément consacré par plusieurs dispositions du CPCE. Elle considère, dès lors, que ces éléments présentent, en l’espèce, un caractère suffisant de vraisemblance pour être tenus pour acquis. En l’espèce, n’ayant toutefois pas pu prendre connaissance des documents sollicités et l’ARCEP n’ayant détaillé la portée du secret des affaires que pour trois « notes collège », la Commission n’est toutefois pas en mesure d’apprécier la portée exacte de ce secret pour l’ensemble des documents. Elle émet dès lors, en l’état des informations portées à sa connaissance, un avis favorable à la demande, sous réserve de l’occultation ou de la disjonction des éléments couverts par le secret des affaires, à condition qu’ils soient dissociables des autres éléments communicables et que ces nombreuses disjonctions ou occultations n’aient pas pour effet de priver d’intelligibilité les éléments restants. La Commission émet, sous ces réserves, un avis favorable à la demande.