Avis 20221655 Séance du 12/05/2022

Madame X, pour X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 11 mars 2022, à la suite du refus opposé par par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères à sa demande de consultation, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre d'une enquête journalistique, des documents conservés aux centre des archives diplomatiques de Nantes sous la cote X. La commission, qui a pris connaissance de la réponse que lui a adressée le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, rappelle, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L311-14 du code des relations entre le public et l’administration, « toute décision de refus d'accès aux documents administratifs est notifiée au demandeur sous la forme d'une décision écrite motivée comportant l'indication des voies et délais de recours » et qu'aux termes de l'article R343-1 du même code, l'intéressé dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification du refus ou de l'expiration du délai d'un mois à compter de la réception de la demande par l'administration compétente pour saisir la commission d'accès aux documents administratifs. Elle souligne également d'une part, que le non-respect du délai de deux mois de saisine de la commission a pour conséquence l'irrégularité de la procédure et donc l’irrecevabilité ensuite d’un éventuel recours contentieux (CE, sect., 25 juillet 1986, de X, n° 34278, p. 215) et d'autre part, que ce délai se décompte comme en matière contentieuse, soit deux mois à compter de la date de notification effective de la décision de refus si elle comporte la mention de la possibilité de saisir la commission et du délai de saisine, soit trois mois à compter de l'accusé de réception de la demande de communication par l'administration, sous réserve que cet accusé de réception comporte les mêmes indications. Enfin, la commission précise qu'il appartient à l’administration qui souhaite opposer une tardiveté de la saisine de la commission de l’établir. En l'espèce, la preuve de la tardiveté alléguée n'étant pas apportée par la seule évocation du délai écoulé entre la date du courrier de refus et celle de la saisine de la commission, la demande d'avis est recevable. La commission rappelle, en second, que les documents comportant des informations susceptibles de porter atteinte à la vie privée des personnes citées sont communicables à toute personne qui en fait la demande à l'expiration d'un délai de cinquante ans après la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, selon le 3° du I de l'article L213-2 du code du patrimoine. Pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, la commission s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi. Conformément à sa doctrine constante (avis de partie II, n° 20050939, du 31 mars 2015), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance. La commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’Etat a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger (avis de partie II, n° 20215602, du 4 novembre 2021). La commission rappelle, à cet égard, d’une part, que l'exercice du droit d’accès aux documents administratifs, garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a valeur constitutionnelle (décision du Conseil constitutionnel n° 2020-834, du 3 avril 2020). Il est loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. La commission précise, d’autre part, que si l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’accorde pas un droit d’accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n’obligent l’Etat à les communiquer, il peut en résulter un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l’accès à ces informations est déterminant pour l’exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, leur disponibilité, le but poursuivi par le demandeur et son rôle dans la réception et la communication au public d’informations. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l’article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée. La commission souligne, par ailleurs, que la Cour européenne des droits de l’Homme accorde un niveau de protection élevé aux journalistes, qu’elle rattache à la catégorie des organismes qui appellent l’attention de l’opinion sur des sujets d’intérêt public, permettant la participation au débat de la société civile, qu’elle juge essentiels au fonctionnement de la société démocratique (par exemple 14 juillet 2009, X c/ Hongrie, req. 37374/05 § 36). Comme l’a indiqué le Conseil d’Etat dans sa décision d’Assemblée précitée, la commission estime, en conséquence, que l'intérêt légitime du demandeur doit être apprécié à la lumière de ces deux textes, au vu de la démarche qu'il entreprend et du but qu'il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d'archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu'ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d'une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi, en particulier au secret des délibérations du pouvoir exécutif, à la protection qu'appellent la conduite des relations extérieures et la défense des intérêts fondamentaux de l'Etat ou encore à la sécurité des personnes. La pesée de l'un et des autres s'effectue en tenant compte notamment de l'effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l'écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l'objet d'une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics. En l’espèce, la commission observe que la demanderesse, qui a la qualité de journaliste, inscrit sa démarche dans une finalité d'enquête journalistique et justifie du caractère scientifique et sérieux de son projet de recherche. En l’état des informations portées à sa connaissance à la date de sa séance, la commission note cependant que les dossiers demandés ne deviendront librement communicable qu'en 2035. En outre, les informations qu'ils comportent demeurent sensibles puisque concernant la vie privée de personnes encore en vie et ayant fait l'objet d'une adoption. Au terme de la mise en balance des intérêts en présence, la commission estime ainsi qu’en dépit de l’intérêt légitime de la demanderesse, la communication par anticipation aux délais légaux de communicabilité est, à ce jour, de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Elle émet, dès lors, un avis défavorable à la demande.