Avis 20221248 Séance du 12/05/2022
Maître X, conseil de X, de X, de X, de X, de X, de X, de X, de X et de X, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 8 mars 2022, à la suite du refus opposé par le garde des sceaux, ministre de la Justice à sa demande de communication, par courrier électronique ou, à défaut, par voie postale, de la copie intégrale des documents suivants, produits ou reçus par le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice, pour la mise en œuvre de la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle, instituée par les articles 495-17 et suivants du code de procédure pénale, pour la mise en œuvre du délit d'installation en réunion en vue d'établir une habitation sur le terrain d'autrui, prévu et réprimé par l'article 322-4-1 du code pénal, et dont l'expérimentation a été annoncée par le Président de la République, le 14 septembre 2021 :
1) les documents de portée générale émanant des administrations de l'Intérieur ou de la Justice (pour ce dernier, sur le fondement de l'article 30 du code de procédure pénale), matérialisés ou non, telles que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du cadre juridique de l'amende forfaitaire délictuelle appliquée à l'infraction d'installation en réunion en vue d'établir une habitation sur le terrain d'autrui ;
2) les documents de cette nature relatifs à l'expérimentation de cette procédure à partir du 19 octobre 2021 sur les ressorts des tribunaux judiciaires de Marseille, Lille, Créteil, Reims, Rennes et Foix ;
3) les documents ayant permis de sélectionner ces 6 ressorts d'expérimentation (études d'impact, échanges avec les préfets, correspondances avec les services du Premier ministre) et les documents et données relatifs aux retours de cette expérimentation ;
4) les documents émis ou reçus par les autorités des tribunaux judiciaires de Marseille, Lille, Créteil, Reims, Rennes et Foix (procureurs généraux et parquets) et par les préfets des départements correspondants, pour la mise en œuvre de ce dispositif d'expérimentation auprès de leurs propres services ;
5) les documents de cette nature pris pour l'extension de cette expérimentation sur le ressort du tribunal judiciaire d'Annecy et notamment les documents relatifs aux échanges consécutifs à l'annonce du 6 novembre 2021 du Premier ministre au congrès des maires de Haute-Savoie (échanges, correspondances, avis, études d'impact échangés entre les services du Premier ministre, le préfet de Haute-Savoie, les sénateurs X, X et X) ;
6) les correspondances échangées, à partir du mois de janvier 2021, entre le ministère de l'Intérieur et le sénateur X, que ce dernier a commentées à l'occasion de l'examen en commission du Sénat, lors de la séance du 13 janvier 2021, de la « proposition de loi visant à consolider les outils des collectivités permettant d'assurer un meilleur accueil des gens du voyage ».
La commission rappelle qu'aux termes de l'article 322-4-1 du code pénal : « Le fait de s'installer en réunion, en vue d'y établir une habitation, même temporaire, sur un terrain appartenant soit à une commune qui s'est conformée aux obligations lui incombant en vertu du schéma départemental prévu à l'article 1er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage ou qui n'est pas inscrite à ce schéma, soit à tout autre propriétaire autre qu'une commune, sans être en mesure de justifier de son autorisation ou de celle du titulaire du droit d'usage du terrain, est puni d'un an d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende. Dans les conditions prévues à l'article 495-17 du code de procédure pénale, l'action publique peut être éteinte par le versement d'une amende forfaitaire d'un montant de 500 €. Le montant de l'amende forfaitaire minorée est de 400 € et le montant de l'amende forfaitaire majorée de 1 000 €. »
La commission relève que, par communiqué de presse commun du 3 septembre 2021, le ministre de l'Intérieur et le garde des sceaux, ministre de la Justice, ont annoncé le lancement d'une expérimentation, dans les ressorts des tribunaux de Marseille, Lille, Créteil, Reims, Rennes et Foix, visant à mettre en œuvre, à compter du 19 octobre 2021, la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle prévue par les dispositions de l'article 322-4-1 du code pénal. Depuis le 30 novembre 2021, cette expérimentation a été étendue à trois ressorts judiciaires supplémentaires de Haute-Savoie : Annecy, Bonneville et Thonon-les-Bains.
La commission estime que les documents sollicités, à l’exception de ceux qui, aux points 4) et 5) relèvent des tribunaux judiciaires, se rapportant à cette expérimentation, s'ils existent, sont en principe communicables à toute personne qui en fait la demande, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve de l'occultation préalable des mentions dont la communication serait susceptible de porter atteinte à l’un des secrets mentionnés aux articles L311-5 et L311-6 du même code, à condition qu’ils soient achevés et dépourvus de caractère préparatoire.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le garde des sceaux, ministre de la Justice a informé la commission qu’en raison du faible nombre de verbalisation observé, la fin de l’expérimentation a été différée et l’expérimentation prolongée jusqu’au 1er mai 2022. La commission en déduit que parmi les documents demandés, ceux d’entre eux qui portent sur le bilan de cette expérimentation et son éventuelle extension sont inachevés ou, en tout état de cause, préparatoires, aucune décision n’ayant, pour le moment été prise sur les suites de cette expérimentation. Par suite, la commission ne peut donc qu’émettre, dans cette mesure et pour ces documents, un avis défavorable.
En revanche, la commission rappelle que lorsqu’un projet comporte des phases distinctes donnant lieu à l'édiction de plusieurs décisions successives, il importe d’identifier la nature des pièces dont le caractère préparatoire est levé par l’intervention de chacune de ces décisions. La commission en déduit que les documents de portée générale portant notamment la présentation et l’interprétation du cadre juridique de l’amende forfaitaire évoquée plus haut, sont communicables sous les réserves rappelées plus haut. Elle émet donc, sous cette réserve et pour ces documents, un avis favorable.
S’agissant des documents mentionnés aux points 4) et 5) émis ou reçus par les autorités des tribunaux judiciaires, la commission rappelle que les documents produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle, qu'elle soit de nature civile, pénale ou commerciale, ne présentent pas un caractère administratif et n'entrent donc pas dans le champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l’administration. Il en va ainsi, notamment des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, des dossiers de demande d'aide juridictionnelle (CE, 5 juin 1991, n° 102627), des décisions du parquet, des dossiers d'instruction, des procès-verbaux d'audition, des rapports d'expertise ou des mémoires et observations des parties – c'est-à-dire de l'ensemble des pièces de procédure proprement dites – mais aussi des documents de travail internes à une juridiction, destinés à leurs membres et concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements (CE, 9 mars 1983, SOS Défense et CE, 28 avril 1993, n° 117480). Par suite, sur ces points et dans cette mesure, la commission ne peut que se déclarer incompétente.
La commission indique que si le garde des sceaux, ministre de la Justice ne détient pas l'un ou plusieurs des documents sollicités, il lui appartient, conformément au sixième alinéa de l'article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration, de transmettre la demande ainsi que le présent avis à l'administration susceptible de les détenir afin qu'elle puisse y donner suite, et d'en informer le demandeur.