Avis 20221079 Séance du 31/03/2022
Maître X, conseil de Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 27 janvier 2022, à la suite du refus opposé par le Premier ministre à sa demande de communication, de préférence par courrier électronique, d'une copie des bulletins de paie des six agents suivants :
- Monsieur X, acheteur au sein de la section FPG, depuis son recrutement jusqu'à son départ du bureau des achats ministériels ;
- Madame X, acheteur au sein de la section TIC, depuis son recrutement jusqu'à son départ du bureau des achats ministériels ;
- Monsieur X juriste au sein du bureau des achats ministériels, de janvier 2018 jusqu'à juillet 2021;
- Monsieur X, acheteur au sein de la section FPG, depuis son recrutement jusqu'à juillet 2021;
- Monsieur X, acheteur au sein de la section FPG, depuis son recrutement jusqu'à juillet 2021;
- Monsieur X, acheteur au sein de la section FPG, depuis son recrutement jusqu'à juillet 2021.
La commission, qui a pris connaissance de la réponse du Premier ministre à la demande qui lui a été adressée, rappelle que la vie privée des fonctionnaires et agents publics doit bénéficier de la même protection que celle des autres citoyens. Elle admet toutefois que les fonctions et le statut de ces personnels justifient que certaines informations les concernant puissent être communiquées. Il en est ainsi, notamment, de la qualité d'agent public, de l'adresse administrative et, s'agissant de la rémunération, des composantes fixes de celle-ci : grade et échelon, indice de traitement, nouvelle bonification indiciaire (NBI), indemnités de sujétion. La commission estime cependant que, si les administrés doivent pouvoir accéder à certains renseignements concernant la qualité de leur interlocuteur, la protection, par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, de la vie privée impose que ces aménagements soient limités à ce qui est strictement nécessaire à leur information légitime.
En application de ces principes, la commission estime que les bulletins de salaire sollicités sont communicables à toute personne qui en fait la demande sous réserve toutefois de l'occultation préalable, en application des articles L311-6 et L311-7 du code des relations entre le public et l’administration, des éléments y figurant qui seraient liés, soit à la situation familiale et personnelle de l'agent en cause (supplément familial), soit à l'appréciation ou au jugement de valeur porté sur sa manière de servir (primes pour travaux supplémentaires, primes de rendement). Il en serait de même, dans le cas où la rémunération comporterait une part variable, du montant total des primes versées ou du montant total de la rémunération, dès lors que ces données, combinées avec les composantes fixes, communicables, de cette rémunération, permettraient de déduire le sens de l'appréciation ou du jugement de valeur porté sur l'agent. Si l'existence d'une telle indemnité constitue une information communicable à des tiers, le montant éventuel de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) doit en revanche être occulté lors de la communication du bulletin de paie d'un agent public.
S'agissant des mentions supplémentaires présentes sur le bulletin de paye des agents publics depuis l'entrée en vigueur du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, la commission estime ensuite que la mention du taux d'imposition, qui apparaît soit comme un taux personnalisé soit comme un taux « neutre », est susceptible, d'une part, de permettre la révélation d'informations liées à la situation personnelle et familiale de l'agent concerné, notamment par le biais de croisement de ces informations avec d'autres éléments disponibles. D'autre part, le taux d'imposition constitue une information propre à la situation fiscale de l'agent qui relève du champ d'application de l'article L103 du livre des procédures fiscales, dispositions particulières dérogeant au droit d'accès prévu par le livre III du code des relations entre le public et l'administration, et de la vie privée. En conséquence, la commission considère que la mention du taux doit faire l'objet d'une occultation en application du 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. La commission considère qu'il en va de même pour les mentions, qui ne sont que la conséquence arithmétique de l'application de ce taux, du montant qui aurait été versé au salarié en l'absence de retenue à la source, du montant de l'impôt prélevé et du montant net à payer. Sous ces réserves, la commission considère donc que les documents sollicités sont communicables à toute personne qui en fait la demande.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le Premier ministre a toutefois informé la commission de ce qu'il considérait la demande de Monsieur X comme abusive.
La commission rappelle à cet égard, que le droit à la communication des documents administratifs ne se confond pas avec un droit d’accès aux informations contenues dans ces documents et, d'autre part, que le droit d'accès aux documents administratifs est un droit objectif. L'intérêt d'une communication pour le demandeur ou ses motivations ne peuvent en conséquence légalement fonder un refus de communication. Toutefois, l'administration n'est pas tenue de répondre à une demande de communication qui présenterait un caractère abusif. Une demande peut-être regardée comme abusive lorsqu'elle a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou lorsqu'elle aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose (CE, n° 420055, 422500, Ministre de la culture c/ Société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France, 14 novembre 2018). Elle peut également être regardée comme abusive lorsque le traitement de la demande fait peser sur l’administration une charge excessive eu égard aux moyens dont elle dispose et à l’intérêt que présenterait, pour le demandeur, le fait de bénéficier, non de la seule connaissance des éléments communicables, mais de la communication des documents occultés eux-mêmes (CE, n° 426623, X du 27 mars 2020).
En l'espèce, la commission n'estime pas, compte tenu des éléments portés à sa connaissance, que le traitement des fiches de paie afin d'un occulter les mentions non communicables à des tiers en application des dispositions de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, qui concerne certes un volume important de documents, mais un nombre limité d'agents, ferait peser sur l'administration une charge excessive eu égard aux moyens dont elle dispose. Elle ne considère pas, non plus, que les occultations à effectuer priveraient d'intérêt cette communication pour le demandeur. Elle émet donc un avis favorable mais invite néanmoins le demandeur à faire preuve de discernement dans l'exercice du droit d'accès qu'il tient du livre III du code des relations entre le public et l'administration.