Avis 20195067 Séance du 02/04/2020

Communication de la liste électorale du département du Bas-Rhin, sans en faire un usage commercial mais à titre de comparaison de données dans le cadre de la vente, par sa société dont l'objet est la réalisation d'enquêtes privées, d'un outil informatique anti-fraude.
Monsieur X, X, a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 17 octobre 2019, à la suite du refus opposé par le préfet du Bas-Rhin à sa demande de communication de la liste électorale de l'ensemble des communes du département du Bas-Rhin, alors qu'il est engagé à ne pas en faire un usage commercial mais à l'utiliser à titre de comparaison de données dans le cadre de la vente, par sa société dont l'objet est la réalisation d'enquêtes privées, d'un outil informatique anti-fraude. En réponse à la demande qui lui a été adressée, le préfet du Bas-Rhin a informé la commission qu'il s'opposait à la communication, au demandeur, de la liste électorale sollicitée, au motif que son usage interviendra nécessairement dans le cadre d'une activité lucrative, et indépendamment des engagements écrits pris de la part du demandeur de ne pas en faire un usage commercial. Le préfet du Bas-Rhin souligne d'une part, que Monsieur X dirige une société spécialisée dans la recherche d'informations portant essentiellement sur l'adressage de courrier vers un destinataire final et, d'autre part, qu'il n'a donné aucune motivation spécifique à sa demande d'ordre civique ou politique, étrangère à son activité professionnelle. La commission en prend note et rappelle les points suivants. I. Sur les dispositions issues de l'article L37 du code électoral : Depuis le 1er janvier 2019, les dispositions des articles L28 et R16 du code électoral ont été remplacées par celles de l'article L37, issu de l'article 7 de la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales. L'article L37 dispose que : « Tout électeur peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale de la commune à la mairie ou des listes électorales des communes du département à la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial. / Tout candidat et tout parti ou groupement politique peuvent prendre communication et obtenir copie de l'ensemble des listes électorales des communes du département auprès de la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial. » La commission constate que le législateur a ainsi étendu l’exigence d’un engagement d’un usage conforme des listes électorales au code électoral aux candidats et groupements ou partis et que cet engagement porte sur l'absence d'usage « commercial », et non plus seulement d'usage « purement commercial ». La loi a également donné sa pleine portée à ce dispositif préventif en l’assortissant de mesures répressives, puisque l'usage commercial d'une liste électorale pourra désormais être puni d'une amende de 15 000 euros. La commission précise que la suppression de l'adverbe « purement » n'a pas pour effet de la conduire à infléchir ou modifier sa doctrine, dès lors qu'elle regarde déjà comme purement commerciales non seulement la commercialisation des listes elles-mêmes, le cas échéant après retraitement, mais aussi leur utilisation dans le cadre d’une activité à but lucratif, et qualifie également d’usage purement commercial, au sens de véritablement commercial, les usages mixtes qui peuvent en être faits (par exemple, pour l’organisation d’une consultation populaire sur le maintien de la licence d’armateur délivrée à une société d’exploitation de ferrys, conseil n° 20094400 du 22 décembre 2009), seules les activités non commerciales pour le tout, comme le démarchage politique (avis n° 20071983 du 24 mai 2007) ou des actions d’intérêt général (conseil n° 20064862 du 9 novembre 2006) échappant à cette qualification. La commission estime que les listes électorales ne peuvent pas non plus être communiquées à des généalogistes professionnels, dès lors que l’emploi des listes électorales, qui facilite la recherche des héritiers d’une succession dans le cadre des contrats de révélation conclus par les généalogistes professionnels, participe nécessairement à l’exercice de l’activité de ces derniers, qui présente un but exclusivement lucratif (conseil n° 20091074 du 2 avril 2009). II. Sur leur articulation avec le Règlement général sur la protection des données : La commission, qui reste compétente, en vertu du 4° de l’article L342-2 du code des relations entre le public et l’administration, pour connaître des questions relatives à l’accès aux documents administratifs relevant de l’article L37 du code électoral, relève que si la consultation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition portant sur des données à caractère personnel constituent un traitement de données au sens de l'article 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (« loi CNIL ») et de l’article 4 du RGPD, et par suite qu'une administration répondant à une demande d’accès à un document administratif contenant des données de cette nature doit ainsi être regardée comme un responsable de traitement, l'administration est toutefois dispensée de requérir, avant toute communication ou publication, le consentement préalable des personnes concernées, en principe exigé par l'article 7 de la loi CNIL et l'article 6 du RGPD, dès lors qu'il s'agit, pour elle, de respecter l'obligation légale de procéder à la communication de documents administratifs découlant en l'espèce des dispositions du code électoral. La commission précise, par ailleurs, que l'entrée en vigueur du RGPD n'a pas entraîné de modification des dispositions du code des relations entre le public et l'administration relatives au droit d'accès aux documents administratifs comportant des données personnelles, ou des dispositions législatives prévoyant un droit d'accès spécial ainsi que le prévoit d'ailleurs l'article 86 du RGPD aux termes duquel : « Les données à caractère personnel figurant dans des documents officiels détenus par une autorité publique ou par un organisme public ou un organisme privé pour l'exécution d'une mission d'intérêt public peuvent être communiquées par ladite autorité ou ledit organisme conformément au droit de l'Union ou au droit de l'État membre auquel est soumis l'autorité publique ou l'organisme public, afin de concilier le droit d'accès du public aux documents officiels et le droit à la protection des données à caractère personnel au titre du présent règlement. » III. Sur les conditions d'exercice du droit d'accès : La commission rappelle tout d'abord que la communication des listes électorales est subordonnée à la condition que le demandeur fasse la preuve de sa qualité d'électeur. La commission estime, dans le silence des textes, que la preuve de la qualité d’électeur peut se faire par tout moyen, sans qu’il y ait lieu d’exiger la production d’un titre d’identité ou de la carte d’électeur. Elle considère qu’une attestation sur l’honneur peut suffire, dès lors que le demandeur produit les éléments permettant à l’administration de vérifier l’effectivité de son inscription sur une liste électorale, à savoir ses nom et prénom(s) et le nom de la commune où il allègue être inscrit. La commission rappelle ensuite que le pouvoir réglementaire a subordonné l'exercice du droit d'accès aux listes électorales à l'engagement, de la part du demandeur, de ne pas en faire un usage commercial (cf. décision du Conseil d'État du 2 décembre 2016 n° 388979, au recueil), afin d'éviter toute exploitation commerciale des données personnelles. La commission considère dès lors que l'autorité compétente est fondée à rejeter la demande de communication dont elle est saisie s'il existe, au vu des éléments dont elle dispose, nonobstant l'engagement pris par le demandeur, des raisons sérieuses de penser que l'usage des listes électorales risque de revêtir, en tout ou partie, un caractère commercial. La commission considère que le caractère purement commercial ou non de l’usage des listes s’apprécie notamment au regard de l’objet de la réutilisation envisagée et de l’activité dans laquelle elle s’inscrit, la forme juridique retenue par le demandeur pour poursuivre cet objectif et l'existence ou l'absence de ressources tirées de cet usage constituant à cet égard de simples indices. A cet effet, la commission estime qu'il est loisible à l'autorité compétente de solliciter du demandeur qu'il produise tout élément d'information de nature à lui permettre de s'assurer de la sincérité de son engagement de ne faire de la liste électorale qu'un usage conforme aux dispositions de l'article L37 du code électoral. L'absence de réponse à une telle demande peut être prise en compte, parmi d'autres éléments, par l'autorité compétente afin d'apprécier, sous le contrôle du juge, les suites qu'il convient de réserver à la demande dont elle est saisie. En l'espèce, la commission observe que Monsieur X justifie de sa qualité d'électeur et certifie ne pas formuler sa demande dans un but commercial. Elle relève que ce dernier s'est engagé à ne pas opérer de vente ou d'échange d'information, ni de transfert de données issues de la liste sollicitée. La commission constate néanmoins que le demandeur intervient pour le compte de la société dont il est le gérant, personne morale de droit privé, spécialisée dans la réalisation d'enquêtes privées. La commission relève que le demandeur propose, dans le cadre de son activité professionnelle, un outil informatique visant à détecter les fraudes sur une demande de crédit en ligne ou une commande via internet. Ce dernier a précisé l'usage qu'il compte faire de la liste demandée en indiquant que celle-ci serait utilisée, à fin de comparaison, lorsqu'un risque de fraude ou d’usurpation d’identité serait détecté par cet outil informatique. Monsieur X ne conteste toutefois pas que l'outil informatique ainsi proposé, en dépit de l'intérêt public poursuivi, est destiné à la commercialisation. Il ne fait valoir aucune activité d'ordre politique ou civique, ni aucune autre finalité étrangère à son activité professionnelle et à tout autre usage commercial, en vue de laquelle il sollicite la liste électorale des communes du département du Bas-Rhin. La commission déduit de ces circonstances que la communication de cette liste à Monsieur X revêt en l'espèce une finalité commerciale au sens et pour l'application de l'article L37 du code électoral, en dépit de l’engagement écrit de sa part à ne pas en faire un tel usage. Elle émet, par suite, un avis défavorable à la demande.