Avis 20181104 Séance du 05/04/2018
Copie des documents produits ou reçus par Monsieur X, en sa qualité de personnalité qualifiée prévue à l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans le cadre des procédures de demandes de retrait de contenus et de blocage des adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de l'article 421-2-5 du code pénal, adressées par l'Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication (OCLCTIC), pour le domaine indymedia.org ou ses sous-domaines comme grenoble.indymedia.org ou nantes.indymedia.org.
Monsieur X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 1er mars 2018, à la suite du refus opposé par X à sa demande de copie des documents produits ou reçus par Monsieur X, en sa qualité de personnalité qualifiée prévue à l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans le cadre des procédures de demandes de retrait de contenus et de blocage des adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de l'article 421-2-5 du code pénal, adressées par l'Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication (OCLCTIC), pour le domaine indymedia.org ou ses sous-domaines comme grenoble.indymedia.org ou nantes.indymedia.org.
Comme elle l'a fait dans son conseil n°2010855 du 8 mars 2018, la commission rappelle que la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a introduit un article 6-1 dans la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique afin d'instituer une procédure de blocage administratif des sites internet diffusant des contenus pédopornographiques ou comportant une incitation au terrorisme ou en faisant l'apologie, en méconnaissance des articles 227-23 et 421-2-5 du code pénal. En application de cette disposition, lorsque l'autorité administrative constate l'existence d'un tel contenu sur un site internet, elle peut demander à l'hébergeur ou l'éditeur de ces données de procéder à leur retrait. En l'absence de retrait, elle notifie au fournisseur de données la liste des adresses électroniques litigieuses afin qu'il en bloque l'accès.
Pour assurer un équilibre entre les impératifs de la sécurité et la protection de la liberté d’expression, le législateur a entouré ce dispositif de garanties. Ainsi, l'autorité administrative doit transmettre les demandes de retrait et la liste des adresses mentionnées plus haut à une personnalité qualifiée, désignée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Si cette personnalité qualifiée constate une irrégularité, elle peut à tout moment recommander à l'autorité administrative d'y mettre fin. Si l'autorité administrative ne suit pas cette recommandation, la personnalité qualifiée peut saisir la juridiction administrative compétente, en référé ou sur requête.
La commission relève, en premier lieu, qu'il résulte de ces dispositions que la personnalité qualifiée instituée à l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 doit être regardée comme une autorité administrative chargée d'une mission de service public. Dès lors, la recommandation élaborée, à ce titre, à l'intention de l'autorité administrative ainsi que la lettre par laquelle celle-ci fait connaître sa décision de suivre ou non la recommandation de la personnalité qualifiée, constituent des documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), en principe communicables à toute personne sous réserve des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du même code. La commission précise que les recommandations revêtent un caractère préparatoire et ne sont donc communicables qu'une fois intervenue la décision du ministre.
La commission rappelle par ailleurs, d'une part, que ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente, en vertu du f) du 2° de l'article L311-5 du CRPA. Dans sa décision du 30 décembre 2015 n° 372230 (au recueil), le Conseil d’État a jugé qu’il résulte de ces dernières dispositions que la seule circonstance que la communication d’un document administratif soit de nature à affecter les intérêts d’une partie à une procédure juridictionnelle ou qu’un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d’une instance engagée devant elle ne fait pas obstacle à sa communication. Toutefois, il revient à la personne chargée d’une mission de service public qui est sollicitée pour communiquer des documents qu’elle détient de vérifier notamment, au cas par cas et selon les circonstances de l’espèce, si leur communication risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives d’une autorité judiciaire ou d’une juridiction, auxquelles il appartient seules, dans le cadre des procédures engagées devant elles et en vertu des principes et des textes qui leur sont applicables, d’assurer le respect des droits de la défense et le caractère contradictoire de la procédure.
La commission rappelle, d'autre part, que l'article L311-9 du CRPA prévoit que l'accès aux documents administratifs s'exerce au choix du demandeur, par la consultation, la communication ou la publication des informations sollicitées en ligne. Elle rappelle également que la communication d'un document à un tiers permet sa libre réutilisation, ce qui peut inclure une mise en ligne, conformément aux règles posées aux articles L322-1 et suivants du code.
En l'espèce, la commission constate que le ministre de l'intérieur n'a pas souhaité suivre les recommandations formulées par la personnalité qualifiée, laquelle a par suite saisi le tribunal administratif compétent du recours prévu par l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004. Elle en déduit, dans ces conditions, que la communication à un tiers des passages des documents, reçus ou produits par la personnalité qualifiée, reprenant le contenu des sites litigieux empiéterait, en méconnaissance du f) du 2° de l'article L311-5 du CRPA, sur les prérogatives du tribunal administratif saisi par la personnalité qualifiée, auquel il appartient seul, en tant que juge de la légalité de la décision ministérielle, d'enjoindre à l'administration qu'il soit mis fin au retrait des sites en cause. Elle considère par conséquent que, tant que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé, ces documents ne sont communicables qu'après occultation des passages reprenant le contenu des sites internet dont l'administration a demandé le retrait ainsi que de l'adresse internet de ce site. Ils pourront en revanche être communiqués dans leur intégralité si le tribunal administratif annule le refus du ministre de l'intérieur de suivre la recommandation, et estime donc que le contenu des sites ne contrevient pas à l'article 421-2-5 du code pénal.
En réponse à la demande qui lui a été adressée, Monsieur X a informé la commission avoir communiqué à Monsieur X les quatre recommandations qu'il a adressées au ministre de l'intérieur relatives à des textes publiés sur les sites grenoble.indymedia.org ou nantes.indymedia.org, après occultation de la citation de leur contenu respectif, ainsi que la réponse que lui a adressée le ministre de l'intérieur le 8 février 2018, après occultation de la citation de certains contenus. La commission ne peut, dès lors, que déclarer sans objet la demande d'avis dans cette mesure.
La commission émet par ailleurs, pour les motifs indiqués plus haut, un avis défavorable à la communication des documents par lesquels le ministre de l'intérieur a saisi Monsieur X, dès lors que ceux-ci comportent nécessairement le contenu et l'adresse des sites litigieux.