Conseil 20180855 Séance du 22/02/2018
Caractère communicable de documents produits ou reçus par le demandeur en sa qualité de personnalité qualifiée prévue à l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans le cadre des procédures de demandes de retrait de contenus et de blocage des adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de l'article 421-2-5 du code pénal, adressées par l'Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication (OCLCTIC), pour le domaine indymedia.org ou de ses sous-domaines comme grenoble.indymedia.org ou nantes.indymedia.org, à savoir :
1) les recommandations du demandeur ;
2) une lettre par laquelle le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur fait connaître son refus de suivre les recommandations du demandeur.
La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 22 février 2018 votre demande de conseil relative au caractère communicable des documents produits ou reçus en votre qualité de personnalité qualifiée dans le cadre du dispositif de blocage de contenu de sites internet prévu à l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, pour le domaine indymedia.org, à savoir :
1) vos recommandations ;
2) une lettre par laquelle le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur a fait connaître son refus de suivre vos recommandations.
La commission rappelle que la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a introduit un article 6-1 dans la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique afin d'instituer une procédure de blocage administratif des sites internet diffusant des contenus pédopornographiques ou comportant une incitation au terrorisme ou en faisant l'apologie, en méconnaissance des articles 227-23 et 421-2-5 du code pénal. En application de cette disposition, lorsque l'autorité administrative constate l'existence d'un tel contenu sur un site internet, elle peut demander à l'hébergeur ou l'éditeur de ces données de procéder à leur retrait. En l'absence de retrait, elle notifie au fournisseur de données la liste des adresses électroniques litigieuses afin qu'il en bloque l'accès.
Pour assurer un équilibre entre les impératifs de la sécurité et la protection de la liberté d’expression, le législateur a entouré ce dispositif de garanties. Ainsi, l'autorité administrative doit transmettre les demandes de retrait et la liste des adresses mentionnées plus haut à une personnalité qualifiée, désignée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Si cette personnalité qualifiée constate une irrégularité, elle peut à tout moment recommander à l'autorité administrative d'y mettre fin. Si l'autorité administrative ne suit pas cette recommandation, la personnalité qualifiée peut saisir la juridiction administrative compétente, en référé ou sur requête.
La commission relève, en premier lieu, qu'il résulte de ces dispositions que la personnalité qualifiée instituée à l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 doit être regardée comme une autorité administrative chargée d'une mission de service public. Dès lors, la recommandation que vous élaborez, à ce titre, à l'intention de l'autorité administrative ainsi que la lettre par laquelle celle-ci vous fait connaître sa décision de suivre ou non votre recommandation, constituent des documents administratifs au sens de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), en principe communicables à toute personne sous réserve des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du même code. La commission précise que les recommandations revêtent un caractère préparatoire et ne sont donc communicables qu'une fois intervenue la décision du ministre.
Après avoir pris connaissance des documents que vous lui avez communiqués, la commission constate qu'en l'espèce, vous avez estimé que les demandes de retrait et de déréférencement des contenus figurant sur le site Indymedia n'étaient pas justifiées et que vous avez par conséquent recommandé au ministre de l'intérieur de rapporter ses demandes de retrait. Celui-ci ayant refusé de suivre votre recommandation, vous avez saisi la juridiction administrative d'un recours en annulation de cette décision.
La commission rappelle, d'une part, que ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente, en vertu du f) du 2° de l'article L311-5 du CRPA. Dans sa décision du 30 décembre 2015 n° 372230 (au recueil), le Conseil d'Etat a jugé qu’il résulte de ces dernières dispositions que la seule circonstance que la communication d’un document administratif soit de nature à affecter les intérêts d’une partie à une procédure juridictionnelle ou qu’un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d’une instance engagée devant elle ne fait pas obstacle à sa communication. Toutefois, il revient à la personne chargée d’une mission de service public qui est sollicitée pour communiquer des documents qu’elle détient de vérifier notamment, au cas par cas et selon les circonstances de l’espèce, si leur communication risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives d’une autorité judiciaire ou d’une juridiction, auxquelles il appartient seules, dans le cadre des procédures engagées devant elles et en vertu des principes et des textes qui leur sont applicables, d’assurer le respect des droits de la défense et le caractère contradictoire de la procédure.
La commission rappelle, d'autre part, que l'article L311-9 du CRPA prévoit que l'accès aux documents administratifs s'exerce au choix du demandeur, par la consultation, la communication ou la publication des informations sollicitées en ligne. Elle rappelle également que la communication d'un document à un tiers permet sa libre réutilisation, ce qui peut inclure une mise en ligne, conformément aux règles posées aux articles L322-1 et suivants du code.
Elle en déduit, dans ces conditions, que la communication à un tiers des passages de la recommandation reprenant le contenu du site litigieux empiéterait, en méconnaissance du f) du 2° de l'article L311-5 du CRPA, sur les prérogatives du tribunal administratif que vous avez saisi, auquel il appartient seul, en tant que juge de la légalité de la décision ministérielle, d'enjoindre à l'administration qu'il soit mis fin au retrait des sites en cause.
La commission considère par conséquent que, tant que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé, la recommandation que vous avez adressée au ministre de l'intérieur n'est communicable qu'après occultation des passages reprenant le contenu du site internet dont l'administration a demandé le retrait ainsi que de l'adresse internet de ce site. Cette recommandation pourra en revanche être communiquée dans son intégralité si le tribunal administratif annule le refus du ministre de l'intérieur de suivre votre recommandation, et estime donc que le contenu du site ne contrevient pas à l'article 421-2-5 du code pénal.
La commission estime en revanche que la réponse du ministre de l'intérieur est communicable dans son intégralité, dès lors que la présentation de certains courts extraits du site internet litigieux qu'elle comporte, n'est pas susceptible de porter atteinte aux dispositions de l'article L311-5 du CRPA mentionnées plus haut.