Conseil 20045291 Séance du 06/01/2005

- portée de l'arrêt n° 247733 rendu par le Conseil d'Etat le 1er mars 2004 en ce qui concerne : 1) les rapports établis à l'issue d'enquêtes ayant pour finalité de contrôler le fonctionnement de la concurrence ou d'enquêtes à but informatif, et les rapports d'analyse ou d'essai réalisés lors de la recherche et de la constatation des infractions au code de la consommation et au code de commerce, notamment ; 2) l'application du secret de l'article 11 du code de procédure pénale aux documents obtenus ou établis dans le cadre d'une procédure judiciaire, dès lors qu'ils n'ont pas été intégrés dans un dossier contentieux et transmis au parquet.
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 6 janvier 2005 votre demande de conseil relative à la portée de la décision rendue par le Conseil d’État le 1er mars 2004 sous le n° 247733. La commission a pris note de ce que la DGCCRF est susceptible d’établir différents types de rapports : a) des enquêtes ayant pour finalité de contrôler le fonctionnement de la concurrence qui peuvent donner lieu, soit à une saisine du conseil de la concurrence, soit à une transmission au parquet en vue de poursuites pénales, sur le fondement de l’article L. 420-6 du code de commerce ; b) des enquêtes à but informatif en dehors de toute recherche d’infraction ; c) des enquêtes destinées à rechercher et, le cas échéant, à constater, des infractions au code de la consommation, au code de commerce ou à d’autres textes législatifs et réglementaires. Ce dernier type d’enquête donne lieu le plus souvent à des prélévements et des analyses de produits. Il convient de distinguer, s’agissant de ces différents documents, la question de leur nature administrative au sens de la loi du 17 juillet 1978 de la question de leur communicabilité. La commission tient en effet à insister sur le fait que le caractère administratif, s’il conditionne l’applicabilité du régime défini par la loi du 17 juillet 1978 au document en cause, ne préjuge en rien de la communicabilité de celui-ci. 1. S’agissant du caractère administratif des documents issus des enquêtes menées par la DGCCRF, la commission a rappelé les éléments suivants. Par sa décision du 1er mars 2004, le Conseil d’État a jugé que les procès-verbaux et rapports établis dans le cadre d’enquêtes administratives ayant pour finalité de contrôler le fonctionnement de la concurrence sont des documents administratifs, dont la communication est régie par les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 modifiée, et que la circonstance que ces documents peuvent, le cas échéant, servir de fondement à des procédures juridictionnelles n’est pas de nature à leur faire perdre leur caractère administratif. La commission estime qu’il en est de même pour les rapports d’enquêtes à but informatif, aussi bien que pour les rapports faisant suite aux enquêtes destinées à rechercher des infractions aux textes législatifs et réglementaires, par exemple celles qui sont diligentées sur le fondement de l’article L. 218-1 du code de la consommation - et cela, quel que soit le contenu de ces enquêtes : qu’elles constatent effectivement, ou non, l’existence d’infractions de nature à donner lieu à une procédure juridictionnelle, notamment pénale - par exemple, la tromperie sur les qualités substantielles d’un produit ou les risques inhérents à son utilisation - et qu’elles donnent lieu, ou non, à l’ouverture d’une instance. La commission est donc compétente pour statuer sur la communicabilité de l’ensemble de ces rapports. Il convient cependant de réserver l’hypothèse dans laquelle une enquête serait diligentée par les services de la DGCCRF, soit en vertu de pouvoirs de police judiciaire qui leur seraient conférés, soit à la demande expresse de l’autorité judiciaire, dans le cadre ou en vue d’une instance déterminée. Le rapport issu de ces investigations devrait alors être regardé comme relevant de l’autorité judiciaire et donc, dépourvu de caractère administratif au sens de la loi du 17 juillet 1978. Dans un tel cas de figure, la commission se déclarerait incompétente pour se prononcer sur le caractère communicable du document. La commission a également estimé que les résultats des prélèvements, essais et analyses réalisés dans le cadre des enquêtes et destinés à servir de support à la rédaction des rapports et procès-verbaux – qu’ils y soient commentés, interprétés, incorporés ou annexés - revêtent un caractère préparatoire tant que ces rapports ou procès-verbaux n’ont pas été établis. En application du 2ème alinéa de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 ils ne sont pas communicables, au cours de cette période. En revanche, ils perdent leur caractère préparatoire dès l’achèvement du rapport et sont donc susceptibles de faire, dès lors, l’objet d’une demande de communication sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 modifiée. 2. S’agissant du caractère communicable des rapports et des analyses ou essais qui ont la nature de document administratif, la commission a apporté les réponses suivantes aux questions soulevées dans votre demande de conseil. La commission a rappelé à titre préliminaire que, sous réserve des dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 concernant les informations nominatives figurant dans des fichiers, toute personne a le droit de connaître les informations contenues dans un document administratif dont les conclusions lui sont opposées. Le caractère non communicable d’un document au sens de la loi du 17 juillet 1978 ne saurait donc être interprété comme faisant obstacle à sa communication sur le fondement du principe général des droits de la défense - ou de toute législation spéciale qui le prévoirait. 2.1. La commission a indiqué qu’en vertu du II de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 modifiée, lorsqu'un document met une personne physique en cause, seule cette dernière, ou une personne expressément mandatée par elle et agissant en son nom, peut en prendre connaissance. Dans le cas des rapports, analyses et essais élaborés par la DGCCRF qui ont la nature de documents administratifs, cette règle ne trouve à s’appliquer que dans l’hypothèse où le rapport porte « une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable », ou fait apparaître « le comportement d'une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice » ou lorsqu'il apparaît que sa communication est de nature à porter atteinte au secret de la vie privée et au secret des dossiers personnels. La commission tient à insister sur le fait que cette notion ne s’applique aux documents administratifs qu’en ce qu’ils concernent des personnes physiques et en aucun cas des personnes morales, telles que les sociétés commerciales. Il n’y a donc pas lieu de refuser la communication aux tiers d’un rapport d’enquête, au seul motif que celui-ci ferait apparaître que des manquements ont été commis dans une entreprise. 2.2 Le II de l’article 6 de la loi est susceptible de trouver application, d’autre part, dans l’hypothèse où des rapport dressés par la DGCCRF comporteraient des informations couvertes par le « secret en matière commerciale et industrielle ». La notion de secret industriel et commercial recouvre trois catégories de données : a) Le secret des procédés. Il s'agit des informations qui permettent de connaître les techniques de fabrication ou le contenu des activités de recherche-développement des entreprises, telles que la description des matériels utilisés ; b) Le secret des informations économiques et financières. Entrent dans cette catégorie les informations qui ont trait à la situation économique d'une entreprise, à sa santé financière ou à l'état de son crédit comme par exemple le chiffre d'affaires, les documents comptables, les effectifs et généralement toutes les informations de nature à révéler le niveau d’activité ; c) Le secret des stratégies commerciales. Entrent dans cette catégorie des informations sur les prix et les pratiques commerciales telles que l'état détaillé des lieux d'un magasin, la liste des ses fournisseurs, le montant des remises consenties à certains clients, etc. Si l’on se trouve dans l’un de ces cas de figure, le document ne pourra être communiqué qu’après avoir occulté les mentions couvertes par ce secret : le reste du document peut faire l’objet d’une communication aux tiers, qu’il s’agisse du distributeur des produits de l’entreprise contrôlée ou de toute autre personne qui en ferait la demande. 2.3 La commission a rappelé qu’en application du I de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 modifiée ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte, notamment « au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures » ou « de façon générale, aux secrets protégés par la loi ». Par sa décision du 1er mars 2004, le Conseil d’État a rappelé qu’il appartient à l’administration de s’assurer que la communication du document demandé, aussi bien à la personne concernée qu’aux tiers, n’est pas susceptible d’interférer avec une procédure juridictionnelle ou avec le secret de l’instruction prévu par l’article 11 du code de procédure pénale, qui figure au nombre des « secrets protégés par la loi ». Cette restriction au droit d’accès est susceptible de s’appliquer à l’ensemble des rapports, analyses et essais élaborés par la DGCCRF qui revêtent le caractère de document administratif au sens de la loi, à partir du moment ou les opérations préliminaires à une procédure juridictionnelle ont été engagées. A cet égard, il n’y a pas lieu de distinguer selon que la procédure juridictionnelle en cause est pénale, civile ou administrative. La commission a cependant tenu à souligner que le seul fait qu’une procédure juridictionnelle soit engagée ou sur le point de l’être n’est pas de nature à justifier un refus de communication : il revient en effet à l’administration d’apprécier concrètement, au cas par cas, compte tenu des circonstances de l’espèce et du contenu du document concerné, le risque d’atteinte au déroulement de l’instance que représenterait sa communication. L’administration s’attachera donc à relever, notamment, dans quelle mesure cette communication serait de nature à empiéter sur le débat juridictionnel, à désavantager l’une des parties, ou encore à retarder l’instance. C’est ainsi que la communication du même type de document est susceptible ou non, selon les circonstances, de porter atteinte au déroulement des procédures juridictionnelles et, par voie de conséquence, d’être communicable ou de ne pas l’être.