Avis 20214741 Séance du 02/09/2021

Communication d’un rapport sur les conditions de fonctionnement du centre du don des corps de l'université Paris‐Descartes (rapport IGÉSR/IGAS n° 2020‐028 ‐ mars 2020).
Madame Stéphanie X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 12 juillet 2021, à la suite du refus opposé par la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation à sa demande de communication d’un rapport sur les conditions de fonctionnement du centre du don des corps de l'université Paris‐Descartes (rapport IGÉSR/IGAS n° 2020‐028 ‐ mars 2020). La commission observe, à titre liminaire, que le rapport demandé a été rédigé par une mission conjointe de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), qui a été diligentée à l’automne 2019 par les ministères des solidarités et de la santé et de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, à la suite de la publication d’un article de presse dénonçant des manquements dans le fonctionnement du centre du don des corps de l’université Paris-Descartes. Ce rapport, remis à ses commanditaires en juin 2020, a par ailleurs été transmis au procureur de la République, en application de l’article 40 du code de procédure pénale. Une synthèse a également été rendue publique. La commission rappelle à titre liminaire qu'un rapport d'inspection ou d’audit revêt un caractère administratif et est communicable à toute personne qui en fait la demande, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration, à condition qu’il soit achevé et dépourvu de caractère préparatoire et sous réserve de l'occultation préalable des mentions couvertes par les secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du même code. La ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation s’oppose à la communication de ce document en faisant valoir, en premier lieu, sa transmission à l’autorité judiciaire. Dans sa décision du 7 mai 2010 n° 303168, le Conseil d’Etat a jugé que les documents, quelle que soit leur nature, qui sont détenus par les juridictions et qui se rattachent à la fonction de juger dont elles sont investies, n'ont pas le caractère de document administratif. Il en va ainsi, notamment des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, de l'ensemble des pièces de procédure proprement dites (CE, 5 juin 1991, n° 102627), mais aussi des documents de travail internes à une juridiction, destinés à leurs membres et concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements (CE, 28 avril 1993, n° 117480). En revanche, la circonstance que l’exemplaire d’un rapport établi par une autorité administrative a été transmis spontanément par cette autorité à l’autorité judiciaire ne suffit pas à faire perdre à ce rapport son caractère de document administratif. En l’espèce, la commission relève que le rapport d’inspection sollicité, qui a été élaboré dans le cadre d’une mission administrative d’inspection et non à l’intention ou à la demande de l’autorité judiciaire, revêt un caractère administratif. La commission estime que sa transmission au procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ne lui a pas fait pas perdre cette qualité. La ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation fait valoir en second lieu, que la communication du rapport demandé, compte tenu de son objet, est de nature à porter atteinte au déroulement de la procédure judiciaire en cours pour « atteinte à l’intégrité d’un cadavre ». La commission rappelle que les dispositions du f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration font obstacle à la communication de documents dans l'hypothèse où celle-ci est de nature à porter atteinte « au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ». La commission précise que la seule circonstance qu'un document administratif se rapporte de près ou de loin a une procédure en cours devant une juridiction de l'ordre judiciaire ou administratif ne saurait par elle-même faire obstacle à sa communication sur le fondement du droit d'accès aux documents administratifs, et ce même s’il a été transmis à l’autorité judiciaire (CE, 20 avril 2005, n° 265308 ; CE, 5 mai 2008, req. n° 309518, Lebon 177). Ce n’est, en effet, que dans l’hypothèse où cette communication risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives de l'autorité judiciaire ou de la juridiction (CE, 21 octobre 2016 n° 380504) que la communication d'un document administratif peut être refusée en application du f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration. Tel peut être le cas lorsque la communication est de nature à porter atteinte au déroulement de l’instruction, entrave ou complique l'office du juge ou encore retarde le jugement d'une affaire (Conseil n° 20092608). Le Conseil d'Etat a également indiqué, dans sa décision précitée du 21 octobre 2016 que, dès lors qu’un document administratif a été transmis au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, il appartient à l’autorité saisie d’une demande de communication de ce document de rechercher, à la date à laquelle elle se prononce, les suites données à cette transmission ou susceptibles de l’être, afin de déterminer, à moins que l’autorité judiciaire compétente ait donné son accord, si la communication du document sollicité est de nature à porter atteinte au déroulement de procédures juridictionnelles ou d’opérations préliminaires à de telles procédures en empiétant sur les prérogatives de cette autorité. En l’espèce, la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a indiqué à la commission que le rapport sollicité, dont elle n’a pas pu prendre connaissance, se prononce sur la matérialité des faits, ainsi que sur les éventuelles responsabilités des personnes impliquées dans le fonctionnement du centre du don des corps de l'université Paris‐Descartes. La commission relève qu’à la suite de l’enquête préliminaire ouverte en novembre 2019 par le pôle santé publique du Parquet de Paris, l’action publique a été déclenchée par l’ouverture d’une information judiciaire, en juillet 2020. La commission regrette que l’autorité ministérielle n’ait pas été en capacité de lui apporter des éléments d’information circonstanciés sur l’état actuel de cette procédure. Toutefois, en l’état des éléments portés à sa connaissance, compte tenu en particulier de l’information judiciaire en cours pour atteinte à l’intégrité d’un cadavre, de la mise en examen récente de nouvelles personnes dans le cadre de cette affaire et de l’objet du rapport demandé, la commission estime que la communication de ce document est, à ce stade, de nature à faire craindre une atteinte au déroulement d’une procédure juridictionnelle. Elle considère, en effet, que le risque que la diffusion de ce rapport interfère avec les investigations judiciaires en cours présente un caractère suffisant de vraisemblance pour justifier un refus de communication, sur le fondement du f) du 2° de l'article L311-5 du code des relations entre le public et l'administration. La commission relève que ce rapport pourrait, le cas échéant, être transmis aux parties dans le cadre de l’information judiciaire. Il pourrait également être communiqué à des tiers sur autorisation expresse du magistrat instructeur. Dans la mesure où une synthèse de ce rapport a déjà été rendue publique et que ce document a pour objet d’établir avec précision les faits et de caractériser tout manquement, mais aussi d’accompagner la fermeture administrative, à titre conservatoire, du site et d’identifier les conditions et les délais d’une éventuelle réouverture, la commission estime que cette saisine apparaît, en l’espèce, particulièrement opportune. Elle émet donc, en l’état, un avis défavorable à la demande et elle invite la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation à recueillir l’avis de l’autorité judiciaire. Enfin, la commission relève à titre subsidiaire, que la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation lui a indiqué que le rapport demandé comporte de nombreuses mentions couvertes par le secret de la vie privée et faisant apparaître le comportement de personnes dans des conditions susceptibles de leur porter préjudice, couvertes par les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Elle précise que ce document ne pourrait, dès lors et en tout état de cause, être communiqué qu’après occultation des mentions correspondantes.