Conseil 20204024 Séance du 11/02/2021

Caractère communicable des données issues des états prévisionnels des recettes et des dépenses (EPRD) et des états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD) des établissements et services médico-sociaux (ESMS), notamment : 1) concernant le périmètre des données protégées issues des EPRD/ERRD des ESMS déposés sur les plateformes de la CNSA : a) quels gestionnaires d’ESMS sont concernés par le secret des informations économiques et financières ? ; b) s’agissant spécifiquement des établissements pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) privés, les données relatives aux activités « soins » et « dépendance » sont-elles couvertes par le secret des affaires ? ; c) quelles données issues des EPRD/ERRD sont couvertes par le secret des informations économiques et financières ? ; d) les rapports budgétaire, financier et d’activité des ESMS déposés sur les plateformes de la CNSA constituent-ils des documents administratifs communicables ? ; e) l’administration est-elle autorisée à communiquer à un journaliste des données couvertes par le secret des affaires ? ; f) le secret de la vie privée des personnes morales est-il opposable à la communication des données des gestionnaires d’ESMS ? ; 2) concernant le type d’extraction à fournir dans le cadre du droit d’accès aux documents administratifs : les bases brutes ou retraitées ? ; 3) concernant les techniques d’occultation des données : a) quel processus d’occultation appliquer s’agissant des données protégées par le secret des affaires ? ; b) quel traitement appliquer s’agissant des données à caractère personnel couvertes par le secret de la vie privée ? ; 4) les solutions qui pourraient être envisagées pour lever le secret sur certains éléments qu’il serait souhaitable d’ouvrir : a) le consentement préalable des ESMS privés ; b) les autres moyens juridiques.
La Commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 11 février 2021 votre demande de conseil relative au caractère communicable des données issues des états prévisionnels des recettes et des dépenses (EPRD) et des états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD) des établissements et services médico-sociaux (ESMS). La commission, après avoir entendu les représentants de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, relève que cet établissement public est chargé aux termes de l'article L14-10-1 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021, de la gestion de la branche autonomie de la sécurité sociale et, à cet effet, a pour rôle de veiller à son équilibre financier et de piloter et d'assurer l’animation et la coordination, dans le champ des politiques de soutien à l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, des acteurs participant à leur mise en œuvre en vue de garantir l’équité, notamment territoriale, la qualité et l’efficience de l’accompagnement des publics concernés. Au titre de cette dernière mission, elle assure la collecte et la valorisation des données relatives aux besoins et à l'offre de services et de prestations, notamment en concevant et mettant en œuvre des systèmes d'information. Elle contribue également, en assurant une répartition équitable sur le territoire national, au financement et au pilotage d'une politique de prévention de la perte d'autonomie et de lutte contre l'isolement, des établissements et services sociaux et médico-sociaux, des prestations individuelles d'aide à l'autonomie et des dispositifs mis en place au niveau national ou local en faveur de l'autonomie et des proches aidants et contribue au financement de l'investissement dans le champ du soutien à l'autonomie. Enfin, elle participe à l'information des personnes âgées, des personnes handicapées et de leurs proches aidants, à la recherche et à l'innovation dans le champ du soutien à l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, à la réflexion prospective sur les politiques de l'autonomie, leurs possibles adaptations territoriales et contribue à l'attractivité des métiers participant à l'accompagnement et au soutien à l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. La commission rappelle qu'aux termes de l'article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. (...) » et qu'aux termes de l'article L311-1 du même code, « Sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L311-6, les administrations mentionnées à l'article L300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. » Selon l'article L311-6, ne sont pas communicables aux tiers les documents administratifs dont la communication porterait atteinte au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L300-2 est soumise à la concurrence. Lorsque une demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L311-5 et L311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. Enfin, d'une part, l'article L312-1-1 de ce code prévoit que sous réserve des articles L311-5 et L311-6 et lorsque ces documents sont disponibles sous forme électronique, les administrations mentionnées au premier alinéa de l'article L300-2, à l'exception des personnes morales dont le nombre d'agents ou de salariés est inférieur à un seuil fixé par décret, publient en ligne, notamment, les bases de données, mises à jour de façon régulière, qu'elles produisent ou qu'elles reçoivent et qui ne font pas l'objet d'une diffusion publique par ailleurs ainsi que les données, mises à jour de façon régulière, dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental ; d'autre part, selon l'article L312-1-2, « Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, lorsque les documents et données mentionnés aux articles L312-1 ou L312-1-1 comportent des mentions entrant dans le champ d'application des articles L311-5 ou L311-6, ils ne peuvent être rendus publics qu'après avoir fait l'objet d'un traitement permettant d'occulter ces mentions (...). » La commission déduit de ces dispositions, en premier lieu, que les données extraites des plateformes de collecte ImportEPRD et ImportERRD, développées par la CNSA et qui structurent le dépôt et l’instruction des états budgétaires et financiers des établissements que ces derniers sont tenus de renseigner en application des dispositions de l'article L312-9 du code de l'action sociale et des familles, en vue de l'établissement de l'étude relative à l'analyse des différents coûts de revient et tarifs des établissements et services mentionnés à l'article L312-1 et relevant de la compétence de la CNSA, sont des documents produits ou reçus dans le cadre des différentes missions de la CNSA et donc des documents administratifs au sens du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en est ainsi, par exemple, de l'extraction réalisée par la CNSA le 28 août 2019 pour l'élaboration du rapport « Situation économique et financière des EHPAD entre 2017 et 2018 » publié en mai 2020 et que la CNSA mentionnait dans ce rapport. La commission précise que constituent des documents administratifs au sens des dispositions de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration, les documents qui peuvent être établis par extraction des bases de données dont l’administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable, mais que ces dispositions n’imposent pas à l’administration d’élaborer un document dont elle ne disposerait pas pour faire droit à une demande de communication. Ainsi, la commission estime qu'il y a lieu de distinguer selon que la demande porte sur une extraction à laquelle la CNSA a procédé pour répondre aux besoins de ses activités qui, lorsqu'elle a été réalisée, constitue en elle-même un document administratif, d'une demande tendant à ce que la CNSA procède à une extraction particulière pour y répondre. Dans ce dernier cas de figure, il ressort en effet des échanges avec les représentants de la CNSA que l'extraction des bases de données ImportEPRD et ImportERRD, telle que celle du 28 août 2019 précédemment mentionnée, implique une succession de requêtes informatiques particulières et complexes effectuées par un prestataire externe, à la demande de la CNSA. La commission estime, au regard de ces éléments, qu'une extraction des bases de données ImportEPRD et ImportERRD ne peut être assimilée à un traitement automatisé d'usage courant et par suite, que le document sollicité ne peut être établi sans faire peser sur la CNSA une charge de travail déraisonnable. La commission comprend, au surplus, qu'afin qu'une extraction des bases de données ImportEPRD et ImportERRD puisse être utilement exploitée, les données brutes doivent faire l'objet de plusieurs traitements de nettoyage et de consolidation afin d'obtenir des bases consolidées homogènes puis sont soumises à des contrôles de cohérence par les agents de la CNSA pour compléter ou exclure certaines données aberrantes ou manquantes, afin de limiter les biais dans l’exploitation des valeurs restituées. Le retraitement des données brutes, qui mobilise plusieurs agents de la CNSA spécialisés dans les analyses statistique et financière, prend ainsi plusieurs mois. Lorsque la demande porte sur une extraction existante, la commission considère, en second lieu, que les données sont communicables à toute personne qui en fait la demande en application des dispositions de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve de l'occultation préalable des mentions relevant des dispositions des articles L311-5 et L311-6 du même code. La commission s'est déjà prononcée sur le caractère communicable des documents économiques et financiers des services et établissements médico-sociaux. Par deux avis 20130985 du 14 mai 2013 et 20160658 du 17 mars 2016, la commission a opéré une distinction entre les structures rattachées à une collectivité publique, telles que celles gérées par un centre communal d’action sociale, et les structures privées. La commission estime que les informations relatives à l'activité et aux données financières des acteurs publics du secteur de la dépendance, des soins et de l'hébergement des personnes dépendantes sont communicables à toute personne qui en fait la demande sur le fondement du livre III du code des relations entre le public et l'administration ainsi que, le cas échéant, des dispositions du code général des collectivités territoriales pour celles qui sont rattachées à une telle collectivité. En revanche, le secret des affaires, protégé par le 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, fait obstacle à ce que soient communiqués ou publiés, le chiffre d'affaires, les documents comptables, les effectifs et généralement toutes les informations de nature à révéler le niveau d'activité des établissements privés du secteur, qu'ils soient ou non à but lucratif dès lors qu'ils interviennent dans un champ concurrentiel, y compris les données précises relatives à l'activité entrant dans le calcul des forfaits soins et dépendance des EHPAD. En outre, la commission comprend des informations qui lui ont été fournies par les représentants de la CNSA que pour ces établissements, les EPRD ne distinguent pas les recettes par section tarifaire et que les données sont agrégées par nature de charge, de sorte qu'il est matériellement impossible d'individualiser au sein des données, les recettes qui correspondraient à la seule prise en charge par l'assurance maladie ou le département. La commission en déduit qu’il n’est donc pas possible, sans effort disproportionné, de distinguer au sein des informations relatives aux établissements du secteur privé contenues dans les EPRD et ERRD, celles, marginales, qui ne relèveraient pas d’un secret protégé. Il résulte de ce qui précède que si les informations relatives au secteur public sont communicables à toute personne qui en fait la demande, les données relatives à l'activité et aux informations économiques et financières des établissements privés ne sont pas communicables à des tiers. La commission, qui comprend des informations qui lui ont été fournies que le tri des établissements selon qu’ils relèvent de la sphère publique ou privée ne fait pas peser sur la CNSA une charge de travail déraisonnable, précisant la position exprimée par son avis 20202033 du 10 septembre 2020 en l'absence de réponse de la CNSA, estime en conséquence que l'extraction des bases de données ImportEPRD et ImportERRD à laquelle a procédé cette dernière en vue de l'établissement du rapport sur la « Situation économique et financière des EHPAD entre 2017 et 2018 » publié en mai 2020 est communicable sur le fondement des dispositions du livre III du code des relations entre le public et l'administration pour les seuls établissements du secteur public. La CNSA pourrait également, comme elle le suggère, recueillir le consentement préalable des établissements à ce que les données relevant du secret des affaires les concernant puissent être rendues publiques par la CNSA. La commission estime cependant que cette manière de procéder, qui doit reposer sur un consentement libre et éclairé de chaque structure concernée pour des finalités précisément déterminées, conduira nécessairement à un état parcellaire de la situation du secteur privé peu compatible avec la volonté de la caisse de fournir une information fiable et limitant les biais dans l’exploitation des valeurs restituées. Seule une disposition législative dérogeant aux dispositions du 1° de l'article L311-6, de l'article L312-1-1 et L312-1-2 du code des relations entre le public et l'administration permettrait à la CNSA de communiquer ou de publier les données des établissements médico-sociaux relevant, en l'état de la règlementation en vigueur, du secret des affaires. La commission précise, enfin en dernier lieu, que la qualité du demandeur est sans incidence sur le droit d'accès aux documents administratifs que garantit le livre III du code des relations entre le public et l'administration. Si l'article L151-8 du code de commerce dispose que « A l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue : 1° Pour exercer le droit à la liberté d'expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d'information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; (...) », cela ne saurait être interprété comme signifiant que le secret des affaires n'est pas opposable à une personne exerçant la profession de journaliste dans le cadre d'une demande d'accès aux documents administratifs. Au surplus, il n'apparaît pas à la commission que le refus opposé en l'espèce constituerait une ingérence injustifiée dans l'exercice de « la liberté de recevoir et de communiquer des informations » du demandeur garanti par l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.