Avis 20192256 Séance du 19/12/2019

Communication des documents relatifs à l'achat et/ou à la livraison prochaine par la France de six embarcations achetées auprès de l'entreprise X, à la marine libyenne, dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine : 1) les bons de commande au fournisseur relatifs à ces six embarcations ; 2) le contrat ou l'accord-cadre ayant permis la commande de ces six hors bord ; 3) l’avis de marché ou d'appel d’offres initial ; 4) les courriers échangés entre l’administration et le prestataire ; 5) les livrets et/ou tout autre document de présentation relatif à ces embarcations, à leurs caractéristiques et à leur équipement, fournis à l’administration par le prestataire ; 6) l’accord (ou les accords) bilatéral (aux) (ou multilatéral(aux)) avec la Libye dans lequel(s) s’inscrit cette livraison ; 7) les éventuels échanges avec les services de l’Union Européenne (UE) relatifs à un financement par l’UE ou l’un de ses fonds.
Madame X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 24 avril 2019, à la suite du refus opposé par la ministre des armées à sa demande de communication des documents relatifs à l'achat et/ou à la livraison prochaine par la France de six embarcations achetées auprès de l'entreprise X, à la marine libyenne, dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine : 1) les bons de commande au fournisseur relatifs à ces six embarcations ; 2) le contrat ou l'accord-cadre ayant permis la commande de ces six hors bord ; 3) l’avis de marché ou d'appel d’offres initial ; 4) les courriers échangés entre l’administration et le prestataire ; 5) les livrets et/ou tout autre document de présentation relatif à ces embarcations, à leurs caractéristiques et à leur équipement, fournis à l’administration par le prestataire ; 6) l’accord (ou les accords) bilatéral(aux) (ou multilatéral(aux)) avec la Libye dans lequel(s) s’inscrit cette livraison ; 7) les éventuels échanges avec les services de l’Union Européenne (UE) relatifs à un financement par l’UE ou l’un de ses fonds. La commission rappelle qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s'y rapportent sont considérés comme des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration ainsi que, le cas échéant, du secret de la défense nationale protégé par l'article L311-5 du code. Il résulte de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, Centre hospitalier de Perpignan (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret en matière commerciale et industrielle et faire ainsi obstacle à cette communication. Le Conseil d’Etat a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi du bordereau des prix unitaires. L'examen de l’offre d’une entreprise attributaire au regard du respect du secret des affaires conduit ainsi la commission à considérer que l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ne sont pas communicables aux tiers, sans qu’il soit besoin de s’interroger sur le mode de passation, notamment répétitif, du marché ou du contrat, sa nature, sa durée ou son mode d’exécution. L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas. En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants : - les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ; - dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres), les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises. La commission précise enfin que les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables. Cette position doit toutefois être adaptée au caractère très particulier des accords-cadres, prévus par le 1° de l'article L2125-1 du code de la commande publique : « L'accord-cadre, qui permet de présélectionner un ou plusieurs opérateurs économiques en vue de conclure un contrat établissant tout ou partie des règles relatives aux commandes à passer au cours d'une période donnée. La durée des accords-cadres ne peut dépasser quatre ans pour les pouvoirs adjudicateurs et huit ans pour les entités adjudicatrices, sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par leur l'objet ou par le fait que leur exécution nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure ». L'article R2162-2 du même code précise quant à lui le régime applicable à ces contrats : « Lorsque l'accord-cadre ne fixe pas toutes les stipulations contractuelles, il donne lieu à la conclusion de marchés subséquents dans les conditions fixées aux articles R2162-7 à R2162-12. / Lorsque l'accord-cadre fixe toutes les stipulations contractuelles, il est exécuté au fur et à mesure de l'émission de bons de commande dans les conditions fixées aux articles R2162-13 et R2162-14. » Les marchés subséquents sont régis par les dispositions des articles R2162-7 à R2162-12 de ce code. Comme elle a déjà pu le préciser dans son avis n° 20154254, la commission estime qu'il ressort de ces dispositions, alors non codifiées, que la signature d'un accord-cadre retenant plusieurs entreprises ne vaut pas attribution du marché et ne met pas fin à la mise en concurrence qui se poursuivra entre les entreprises retenues pendant toute la durée de l'accord. Le droit d'accès aux documents relatifs à ce dernier doit donc être défini de manière à ne pas porter atteinte à la concurrence entre ces entreprises ce qui conduit à en restreindre la portée par rapport aux contrats ou marchés publics habituels. De même, la portée du droit d'accès à un marché passé sur le fondement de l'accord-cadre est réduite, par rapport aux contrats ou marchés publics habituels, dans tous les cas où l'attribution du marché en cause n'épuise pas les possibilités de nouvelles mises en concurrence ouvertes pour l'attribution d'autres marchés sur le fondement du même accord-cadre. Il importe en effet de veiller à ce que la communication des informations sollicitées n'affecte pas la concurrence pour la passation des marchés sur le fondement de l'accord-cadre, tant que ce dernier reste applicable, ce qui porterait atteinte au secret des affaires protégé par l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, lorsque l'accord-cadre multi-attributaires a été conclu avec plusieurs soumissionnaires ayant remis une offre et que les marchés subséquents leur seront attribués sans nouvelle mise en concurrence, selon les conditions financières initiales prévues par leur bordereau de prix unitaires, la commission estime que la communication des accords-cadres n'est pas susceptible d'affecter la concurrence ni de porter atteinte au secret des affaires, sous réserve des remarques précédentes. En l'absence de réponse de la ministre des armées à la date de sa séance, permettant d'apprécier si la communication serait susceptible de porter atteinte au secret de la défense nationale, la commission émet un avis favorable à la communication du document mentionné au point 3) de la demande. Elle estime, en revanche, que la communication à des tiers des documents mentionnés aux points 1), 2), 4) et 5) de la demande, qui incluent nécessairement le détail des prix unitaires et les caractéristiques techniques et financières des offres de l'attributaire, porterait nécessairement atteinte au secret des affaires protégé par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Elle émet par conséquent un avis défavorable sur ces points. S'agissant du surplus de la demande, la commission estime que les documents administratifs sollicités sont en principe communicables à toute personne qui en fait la demande, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve que cette communication ne porte pas atteinte à un secret protégé par l'article L311-5, notamment au secret de la défense nationale, à la conduite de la politique extérieure de la France, la sûreté de l’État, la sécurité publique et la sécurité des personnes. Elle émet par suite, sous ces réserves, un avis favorable.