Conseil 20101341 Séance du 25/03/2010

- bien-fondé de la demande de réutilisation des cahiers de recensement des années 1801 à 1931, formulée par la société NotreFamille.com, éditrice des sites internet www.notrefamille.com et www.genealogie.com, qui proposent aux internautes la consultation en ligne d'une collection de différents fonds d'archives permettant d'effectuer des recherches généalogiques.
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 25 mars 2010 votre demande de conseil relative au caractère réutilisable des cahiers de recensement des années 1801 à 1931, par la société NotreFamille.com, éditrice des sites internet www.notrefamille.com et www.genealogie.com, qui proposent aux internautes la consultation en ligne d'une collection de différents fonds d'archives permettant d'effectuer des recherches généalogiques. A titre liminaire, la commission rappelle que, dans son conseil n° 20082643 du 31 juillet 2008, elle a estimé que les services d'archives départementales, qui ont pour mission principale de collecter, conserver et communiquer des archives définitives, constituent des organismes et services culturels au sens de l'article 11 de la loi du 17 juillet 1978, auxquels il incombe de fixer les conditions de la réutilisation des informations publiques qu'ils produisent et reçoivent. 1. Sur le caractère communicable et réutilisable des cahiers de recensement : La commission rappelle que le a) du 4° du I de l’article L. 213-2 du code du patrimoine dispose que « les archives publiques sont communicables de plein droit à l'expiration d'un délai de (…) soixante-quinze ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, ou un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé si ce dernier délai est plus bref pour les documents dont la communication porte atteinte au secret en matière de statistiques lorsque sont en cause des données collectées au moyen de questionnaires ayant trait aux faits et comportements d'ordre privé. » En l’espèce, la commission relève que les cahiers de recensement sollicités sont constitués des données nominatives qui ont été recueillies au cours des opérations de recensement menées dans le département de l’Essonne de 1801 à 1931. Elle considère que ces documents sont librement communicables, le délai de soixante-quinze ans fixé par le code du patrimoine étant écoulé. Dès lors que ces documents sont librement communicables, les informations qu’ils contiennent constituent des informations publiques au sens de l’article 10 de la loi du 17 juillet 1978, et peuvent donc être utilisés par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus. La commission estime, à cet égard, que la mise en ligne sur internet de fonds d’archives numérisés par la société Notrefamille.com en vue de permettre à des internautes d’effectuer des recherches généalogiques, constitue une réutilisation commerciale de ces informations autorisée par la loi du 17 juillet 1978. 2. Sur les modalités de réutilisation : La commission rappelle que si la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public, a laissé « à l’appréciation des Etats membres la décision d’autoriser ou non la réutilisation des documents » et a expressément exclu de son champ d’application les services d’archives, l’article 10 de la loi du 17 juillet 1978, qui a procédé à la transposition de cette directive, a consacré de façon générale la liberté de réutilisation de toutes les informations publiques, y compris celles figurant dans des documents d’archives publiques, sous réserve du respect des conditions et limites fixées par les articles 11 à 16 de la même loi ou par les services des archives. Il en résulte que les établissements culturels ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’apprécier l’opportunité de faire droit ou non à une demande de réutilisation. Toutefois une interdiction de réutilisation peut être légalement fondée, si elle est justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants et si elle est proportionnée à la sensibilité des données en cause ainsi qu’à la nature de l’usage envisagé. Il résulte également des dispositions de l’article 11 de la loi du 17 juillet 1978 qu’il appartient aux services des archives de définir leurs propres règles de réutilisation. Ces règles, qui pourront s’inspirer de celles du chapitre II du titre Ier de cette loi, devront être élaborées dans le respect, d’une part, des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, notamment la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, en ce qui concerne les données à caractère personnel, et le code de la propriété intellectuelle, et, d’autre part, des principes généraux du droit (en particulier, le principe d’égalité devant le service public) et des règles dégagées par le juge, notamment en matière de fixation des redevances de réutilisation. Ces règles peuvent être formalisées dans un règlement élaboré par l’administration ou figurer dans une licence que les intéressés devront souscrire pour réutiliser les informations publiques qui leur sont transmises. Cette réutilisation pourra donner lieu, le cas échéant, au versement de redevances, lesquelles devront être fixées de manière non discriminatoire. En outre, la commission considère, ainsi qu’elle l’a déjà indiqué dans son conseil n° 20094298, que la circonstance qu’une licence ou un règlement n’ait pas encore été établi ne fait pas obstacle à la souscription ultérieure d’une licence. La commission relève en effet que le principe de non-rétroactivité n’exclut pas l’application immédiate des règlements à des situations en cours et n’interdit pas qu’un texte réglementaire attache des effets futurs à une situation passée, pour autant qu’il n’existe pas de situation juridique constituée. La commission précise néanmoins qu’aucune redevance ne saurait être exigée en contrepartie de la réutilisation qui aura déjà été faite des informations publiques avant la souscription de la licence. L’administration ne peut donc s’opposer à la réutilisation d’informations publiques au seul motif qu’elle n’aurait pas encore établi de règlement ou de licence pour encadrer l’usage que le demandeur entend faire de ces données. Dans ce cadre, la commission considère qu’il y a lieu de distinguer deux hypothèses. La première vise la situation où le demandeur a pu ou peut obtenir immédiatement la communication des documents sollicités sous une forme lui permettant la réutilisation souhaitée (ex : communication par voie électronique de fichiers numérisés). Dans ce cas, l’administration ne peut s’opposer ni à la communication des documents en cause (si elle n’y a pas déjà procédé), ni à leur réutilisation, quand bien même elle n’aurait encore fixé aucune règle encadrant cette réutilisation. La seconde hypothèse correspond au cas où le demandeur ne peut obtenir la communication des documents dans des conditions qui lui permettent de procéder à la réutilisation qu’il souhaite en faire. Dans ce cas, l’administration devra être regardée comme ayant rempli ses obligations au regard de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978, si elle a mis à même le demandeur d’accéder aux documents dans les conditions fixées par l’article 4 de la loi, c'est-à-dire, soit par consultation gratuite sur place, sauf si la préservation du document ne le permet pas, soit par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l'administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, soit par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique. La commission estime ensuite qu’il appartient à l’administration, au regard de ses obligations en matière de réutilisation, de se rapprocher du demandeur afin de déterminer les conditions dans lesquelles celui-ci pourra accéder aux informations publiques sollicitées et procéder à leur réutilisation. En cas de décision défavorable, le demandeur peut introduire un recours juridictionnel devant le tribunal administratif compétent, après avoir saisi la commission. En l’espèce, la commission relève que les cahiers de recensement du département de l’Essonne sont disponibles sous format numérique et qu’ils sont donc d’ores et déjà communicables en application de l’article 4 de la loi du 17 juillet 1978, et par conséquent réutilisables. 3. Sur le respect de la loi du 6 janvier 1978 : La commission rappelle que la réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel, comme c’est le cas en l’espèce s’agissant de la mise en ligne de fichiers images de cahiers de recensement pour lesquels seront réalisés des index nominatifs de recherche, est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, lesquelles prévoient, le cas échéant, une obligation de déclaration préalable du fichier ou du traitement en cause auprès de la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). A cet égard, la commission rappelle qu’il résulte de l’article 7 de la loi du 6 janvier 1978 qu’« un traitement de données à caractère personnel doit avoir reçu le consentement de la personne concernée ou satisfaire à l'une des conditions suivantes : 1° Le respect d'une obligation légale incombant au responsable du traitement ; 2° La sauvegarde de la vie de la personne concernée ; 3° L'exécution d'une mission de service public dont est investi le responsable ou le destinataire du traitement ; 4° L'exécution, soit d'un contrat auquel la personne concernée est partie, soit de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ; 5° La réalisation de l'intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le destinataire, sous réserve de ne pas méconnaître l'intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée ». Dès lors qu’il n’apparaît pas que le traitement de données que la société Notre Famille.com envisage de mettre en œuvre, puisse relever de l’une des cinq exceptions prévues par cet article, la commission en déduit que le consentement des personnes dont le nom figure sur les cahiers de recensement et qui seraient susceptibles d’être encore en vie, doit être préalablement obtenu. La commission constate toutefois que la société Notrefamille.com a développé des outils informatiques permettant de mieux respecter les droits des ayants droit et des personnes vivantes. La société a ainsi mis en œuvre un traitement informatique lui permettant de rendre illisible de manière définitive les données personnelles à caractère religieux et médical figurant dans les cahiers de recensement. Elle indique aussi disposer de la possibilité de rendre inaccessibles aux visiteurs de son site les parties des images et de l’index susceptibles de concerner des personnes pouvant encore être en vie, c'est-à-dire dont la date de naissance se situe dans une période de moins de cent ans révolus. Si la commission souligne que de telles mesures ne sauraient assurer à elles seules la conformité du traitement en cause avec les dispositions de l’article 7 de la loi du 6 janvier 1978, elle prend néanmoins acte, compte tenu de la difficulté voire de l’impossibilité d’obtenir le consentement des personnes concernées, de cette démarche qui s’inscrit dans le cadre d’une protection renforcée des données à caractère personnel. Elle rappelle enfin que toute restriction et, a fortiori, toute interdiction de réutilisation doit être fondée sur des motifs d’intérêt général et doit être proportionnée à la sensibilité des données en cause et à la nature de l’usage envisagé. De ce point de vue, une interdiction générale et absolue de réutilisation des données à caractère personnel de moins de cent ans pourrait encourir la critique, ainsi que l’a indiqué la commission dans la lettre qu’elle a adressée à la direction des archives de France le 29 septembre 2009. La commission considère donc que les documents sollicités par la société NotreFamille.com sont communicables et réutilisables selon les modalités qui viennent d’être rappelées.