Conseil 20202989 Séance du 10/09/2020

Caractère communicable du protocole d'indemnisation de la fermeture de la centrale de Fessenheim et de ses annexes.
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné lors de sa séance du 10 septembre 2020 votre demande de conseil relative au caractère communicable du protocole d'indemnisation de la fermeture de la centrale de Fessenheim et de ses annexes. La commission, qui a pris connaissance du protocole et de ses annexes, ainsi que des propositions d'occultations au titre du secret des affaires de la ministre de la transition écologique, rappelle que ne sont pas communicables à un tiers, en application des dispositions du 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, les mentions ou documents dont la communication porterait atteinte au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration est soumise à la concurrence. A ce titre, la commission estime que relèvent du secret des affaires, les informations révélant le savoir-faire ainsi que les moyens et les techniques de fabrication ou de recherche utilisées par une entreprise (conseil n° 20184007 du 13 septembre 2018 et avis n° 20183365 du 27 septembre 2018), les informations qui se rapportent à sa situation économique, à sa santé financière ou à son crédit, en particulier l'ensemble des données relatives au chiffre d'affaires ou au niveau d'activité telles que son volume de production (avis n° 20183615 du 20 décembre 2018) ou la liste de ses clients ainsi que les informations qui ont trait à la stratégie commerciale d’une entreprise ou d'un organisme, et en particulier à sa politique tarifaire (avis du 6 décembre 2018 n° 20182177). La commission estime, enfin, que les données revêtent un caractère secret en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles et ont une valeur commerciale effective ou potentielle de ce fait (avis n° 20183478 du 21 mars 2019). En l'espèce, la commission relève que le protocole prévoit l’indemnisation de deux catégories de préjudices sur quatre périodes. L’indemnisation couvre, en premier lieu, une part fixe correspondant aux pertes subies représentative de l’anticipation de dépenses : les dépenses sociales, les charges nucléaires de long terme (démantèlement, gestion du combustible usé et gestion des déchets radioactifs), les taxes dues après la fermeture de la centrale, les dépenses de post-exploitation (telles que la surveillance du site après arrêt de la production mais avant la mise en œuvre du démantèlement). Il s’agit de la part initiale d’indemnisation, dont les versements auront lieu entre 2020 et 2024. L’indemnisation comprend, en second lieu, une part variable correspondant au manque à gagner représentatif des bénéfices non perçus sur la période d’anticipation de la fermeture. Les versements au titre de ce poste d’indemnisation peuvent durer jusqu’en 2041. Les bénéfices manqués seront calculés à partir des prix de l’électricité constatés ex-post, en partant d’une estimation fixe du volume de production de la centrale (et en tenant compte des coûts qui auraient été nécessaires pour obtenir cette production). La méthodologie d’établissement consiste à comparer les bénéfices manqués obtenus avec différentes dates de fermeture, et à ajouter ces écarts de bénéfices manqués en tenant compte de leur probabilité d’occurrence, tout en les actualisant à un taux forfaitaire. En ce qui concerne le protocole : La commission constate, en premier lieu, que la ministre de la transition écologique propose d'occulter la production annuelle de la centrale devant permettre de valoriser la production de la centrale et qui a été établie, selon le protocole, en référence à la production annuelle passée de la centrale sur toute sa durée d'exploitation. La commission relève toutefois, d'une part, que les chiffres de production annuelle des centrales nucléaires sont recensés par l’Agence internationale de l'énergie atomique dans le système d’information sur les réacteurs de puissance (PRIS) et sont accessibles en ligne (https://pris.iaea.org/PRIS/CountryStatistics/ReactorDetails.aspx?current=163). La production annuelle de chaque réacteur est donc connue. D'autre part, la Cour des comptes, dans le cadre d’une communication à la Commission des finances du Sénat relative à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires remise en février 2020 et accessible en ligne (https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-03/20200304-rapport-arret-demantelement-installations-nucleaires-2_0.pdf), indique, sans toutefois le divulguer, comment ce chiffre conventionnel a été calculé : « Ce niveau représente la moyenne des 25 dernières années de production, en excluant les quatre meilleurs et plus mauvais exercices » (bas de la page 39). La commission en déduit que le niveau de production annuelle de la centrale de Fessenheim retenu dans le protocole, qui peut être obtenu par un calcul simple à partir d'informations librement accessibles, ne revêt pas un caractère secret et qu'il ne relève donc pas du secret des affaires. La commission constate, en deuxième lieu, que le taux d'actualisation forfaitaire est occulté. La commission comprend, à la lecture de la communication de la Cour des comptes précédemment mentionnée, que ce taux, dont elle ne divulgue pas le montant, reflète en valeur nominale le coût moyen pondéré du capital – CMPC – d’EDF lors de l’année de base des calculs, c’est-à-dire le taux de rentabilité attendu par les actionnaires et les créanciers en retour de leurs investissements. La commission estime que ce taux constitue une donnée économique et financière d'EDF et que, revêtant un caractère secret, il relève du secret des affaires. En troisième lieu, la ministre de la transition écologique propose d’occulter deux paragraphes figurant à l’article 9 du protocole relatif aux partenaires étrangers d’EDF. Cet article a pour objet de prévoir que l’État ne doit pas à être conduit à indemniser deux fois le même préjudice, une fois envers EDF et une fois envers les partenaires étrangers. La commission relève que les deux paragraphes occultés apportent des précisions pour l'application de ce principe quant aux conditions et modalités de versement de l'indemnité qui ne relèvent en elles-mêmes d'aucun secret protégé. Enfin, la commission relève que le protocole d'indemnisation prévoit que pour chaque période d’indemnisation, le montant de l’indemnité due est obtenu par application d'un coefficient de probabilité de réalisation appliqué aux montants pris en compte pour chaque chef de préjudice censé traduire la part normale des aléas d’exploitation d'EDF. La commission estime que ces pourcentages d’occurrence, ainsi que l'ajustement pour la perte de bénéfice manqué pour la dernière période, en ce qu'ils reflètent les aléas d'exploitation d'EDF au cours des différentes périodes d'indemnisation relèvent du secret des affaires. La commission estime au regard de ce qui précède, que seuls relèvent du secret des affaires et doivent à ce titre être occultés avant la communication du protocole à un tiers sur le fondement des dispositions du code des relations entre le public et l'administration, le taux d'actualisation figurant à l'article 4, page 11 et les coefficients et l'ajustement figurant à l'article 10, page 16. En ce qui concerne les annexes : La commission relève que sur les 12 annexes du protocole, la ministre de la transition écologique propose de n'en communiquer que deux, l'avis du comité central d'entreprise d'EDF (A1) et l'annexe 10 relative au calcul du montant d'anticipation pour une fermeture en 2020 après occultations. Si la commission considère que l'ensemble des annexes A4, A5, A6 à A9, relatives aux chroniques des coûts, des investissements et des charges et à leur détermination, les annexes A7 et A8 relatives à l'état du personnel d'EDF employé sur le site de Fessenheim et aux mesures sociales, ainsi que l'annexe A11 relative aux relations financières entre EDF et un de ses partenaires précisément identifié relèvent du secret des affaires, elle estime que la délibération du conseil d'administration d'EDF habilitant le président-directeur général à signer le protocole, à l'exception des points de l'ordre du jour relatifs à d'autres projets commerciaux ou industriels d'EDF, ne relève pas d'un secret protégé. Elle estime en conséquence que l'annexe A3 est communicable à toute personne qui en fait la demande en application des dispositions de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, après occultation préalable des points de l'ordre du jour portant sur des projets industriels ou des relations partenariales autres que la fermeture de la centrale de Fessenheim en application du 1° de l'article L311-6 ainsi que le sens des votes des administrateurs en application du 3° du même article. La commission estime également, s'agissant de l'annexe A10, que les montants correspondant au premier versement et les estimations des montants dus en fonction de leur date de versement en 2020 et 2024, sont des informations publiques disponibles dans les documents budgétaires et comptables de l’État. Ils n'ont donc pas à être occultés avant communication, seuls relevant du secret des affaires, les coefficients de probabilité de réalisation affectés à chaque période d'indemnisation ainsi que les montants dus, par application de ces coefficients, pour les périodes P2, P3 et P4. Enfin, la commission estime que l'annexe A12, dès lors qu'elle considère que le taux de production annuelle défini conventionnellement dans le protocole ne relève pas du secret des affaires, est communicable à toute personne qui en fait la demande en application des dispositions de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, son contenu provenant d'informations publiques, communiquées soit par EDF dans le cadre de ses résultats trimestriels, soit par la Commission de régulation de l’énergie dans le cadre de ses missions de régulation. La commission estime, en conséquence, que les annexes A1, A2, A10 et A12 sont communicables, sous les réserves qui viennent d'être rappelées.