Conseil 20165659 Séance du 15/12/2016

Conformité, depuis le 1er décembre 2016, des licences et des tarifs de réutilisation adoptés depuis 2010 et non encore abrogés par les services d'archives ou leurs tutelles avec les dispositions relatives à la tarification de la réutilisation prévues par la loi dite « Valter ».
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 15 décembre 2016 votre demande de conseil relative à la validité, depuis le 1er décembre 2016, des licences et des tarifs de réutilisation adoptés jusqu'à cette date, depuis 2010, par les services d'archives des collectivités territoriales ou leurs autorités de tutelle. La commission estime que la réponse à cette question conduit à rappeler l'évolution récente du régime de la réutilisation des fonds de ces archives publiques sous l'effet des interventions successives du législateur. 1. Régime ancien La commission rappelle que dans l'état du droit antérieur à l'intervention de la loi n° 2015-1779 du 28 décembre 2015 relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du service public, si les informations publiques contenues dans les documents produits ou reçus par les services d'archives publiques entraient pleinement dans le champ d'application du droit de réutilisation garanti par l'article 10 de la loi du 17 juillet 1978, les dispositions des articles 12 à 16 de la même loi ne s'appliquaient pas par elles-mêmes à la réutilisation de ces informations publiques, en raison des dispositions de l'article 11 qui permettaient aux services d'archives comme à l'ensemble des services culturels de définir eux-mêmes les conditions d'une telle réutilisation. Les services d'archives ou les autres services culturels et leurs autorités de tutelle ne pouvaient toutefois le faire que dans le respect tant de l'article 10 de la loi que dans celui de principes plus généraux du droit français. Ainsi, par exemple, les services d'archives ne pouvaient apporter à la réutilisation des restrictions excessives qui auraient dénaturé la portée du principe de libre réutilisation affirmé à l'article 10, ni définir des conditions de réutilisation discriminatoires ou contraires au principe d'égalité. L'autonomie des autorités de tutelle pour déterminer les conditions de réutilisation des documents des services d'archives avait donc deux conséquences principales : d'une part, elle permettait de subordonner en toute hypothèse une réutilisation à la délivrance d'une licence, même en l'absence de redevance, ou au contraire d'imposer une redevance sans délivrer de licence, alors que l'article 16 de la loi du 17 juillet 1978, dans sa rédaction d'origine, ne permettait à l'administration d'imposer une licence que lorsqu'une redevance était exigée, et l'y obligeait dans ce cas ; d'autre part, elle permettait de fixer le montant de la redevance, non dans les conditions prévues par l'article 15 de la loi, strictement, mais conformément aux principes dégagés par la jurisprudence administrative pour la fixation des redevances pour service rendu, lesquelles se différenciaient des règles posées par la loi, depuis la décision du Conseil d’État du 29 mai 2009 (Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique et autre, syndicat national de défense de l'exercice libéral de la médecine, n° 318071, 322288, tables du recueil Lebon p. 737 et 958), par la possibilité de tenir compte de la valeur économique de la prestation fournie par l'administration à son bénéficiaire, par exemple en asseyant le montant de la redevance en tout ou partie sur celui du chiffre d'affaires ou du bénéfice du réutilisateur. 2. Régime nouveau La loi du 28 décembre 2015 a abrogé l'article 11 de la loi du 17 juillet 1978, faisant ainsi entrer dans le régime de réutilisation défini par la loi elle-même l'ensemble des services culturels, notamment les services d'archives. Toutefois, cette loi n'a pas modifié la situation des services d'archives au regard de la possibilité de subordonner une réutilisation à la délivrance d'une licence, même en l'absence de redevance, puisqu'elle a au contraire généralisé cette faculté. Symétriquement, l'obligation d'établir une licence en cas de redevance s'est étendue aux services d'archives. Par ailleurs, si les services d'archives ont perdu la faculté formelle de définir par un règlement propre les conditions de la réutilisation, il revient à la licence de fixer ces conditions, ainsi que le prévoit la loi. En outre, tout en affirmant le principe de la gratuité de la réutilisation des informations publiques, la loi a permis que la réutilisation puisse donner lieu au versement d'une redevance lorsqu'elle porte sur des informations issues des opérations de numérisation des fonds et des collections des bibliothèques, des musées et des archives, en plafonnant le produit total du montant de la redevance, « évalué sur une période comptable appropriée », au montant total des coûts de collecte, de production, de mise à disposition ou de diffusion, de conservation des informations et d'acquisition des droits de propriété intellectuelle. Les services d'archives ont ainsi conservé la possibilité d'imposer une redevance pour la réutilisation des informations issues des opérations de numérisation de leurs fonds, en particulier pour la réutilisation des images numérisées des fonds de l'état civil ancien et d'autres fonds anciens relatifs à l'histoire des familles que la majeure partie des services départementaux ont mis à disposition du public sur leurs sites internet. Ils ont cependant perdu la possibilité de calculer la redevance en fonction de l'avantage économique retiré par le réutilisateur des images et données fournies par le service. 3. Passage du régime ancien au régime nouveau En vertu des dispositions transitoires figurant à l'article 10 de la loi du 28 décembre 2015, les réglementations, licences et redevances instituées dans le cadre législatif antérieur pouvaient rester en vigueur jusqu'au 1er décembre 2016. L'ordonnance n° 2016-307 du 17 mars 2016 portant codification des dispositions relatives à la réutilisation des informations publiques dans le code des relations entre le public et l'administration, qui s'est limitée à reprendre dans le code des relations entre le public et l'administration, aux articles L323-1, L323-2 et L324-1 à L324-5, les dispositions issues de la loi du 28 décembre 2015, n'a eu aucune incidence sur cette date. Par ailleurs, si la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a inséré à l'article L323-2 une disposition obligeant, lorsque la réutilisation à titre gratuit donne lieu à l'établissement d'une licence, à choisir celle-ci parmi celles qui figurent sur une liste fixée par décret, cette disposition n'est pas encore entrée en vigueur, dans l'attente du décret indispensable à sa mise en œuvre. La commission en déduit que la faculté pour l'autorité compétente de subordonner à la délivrance d'une licence une réutilisation sans redevance, généralisée par la loi du 28 décembre 2015, n'est pas encore restreinte, à ce jour, aux seules licences énumérées par le décret qui n'a pas encore été pris. Enfin, la commission constate que la loi du 28 décembre 2015, par des dispositions codifiées depuis à l'article L324-4 du code des relations entre le public et l'administration, a renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de déterminer les modalités de fixation des redevances, dans le respect des dispositions des articles L324-1 et L324-2. Ce décret a été pris le 28 juillet 2016 (décret n° 2016-1036 du 28 juillet 2016 relatif au principe et aux modalités de fixation des redevances de réutilisation des informations du secteur public). Alors que ce décret avait pour objet de préciser les modalités d'application de dispositions législatives auxquelles les administrations devaient, ainsi qu'il vient d'être dit, se conformer avant le 1er décembre 2016, il a fixé sa propre entrée en vigueur au 1er janvier 2017. Les dispositions qui en sont issues figureront à compter de cette date aux articles R324-4-3 à R324-4-5 du code des relations entre le public et l'administration. Cependant, la commission estime que le décret prévu par la loi, qui, maintenant qu'il a été pris, devra être appliqué à compter de son entrée en vigueur, n'était pas indispensable à l'application de la loi, laquelle comportait l'ensemble des précisions utiles, permettant aux autorités administratives compétentes de se prononcer, sous le contrôle du juge administratif. Ainsi, l'administration était, avant même l'intervention du décret, en mesure de déterminer la « période comptable appropriée » de calcul de la redevance, définie pour l'avenir à l'article R324-4-3 du code, ainsi que la commission l'avait fait elle-même pour l'application des dispositions antérieures de l'article 15 de la loi du 17 juillet 1978, qui maniaient la même notion (cf avis n° 20141556 du 30 octobre 2014 relatif au Service hydrographique et océanographique de la Marine). De même, la précision selon laquelle les coûts liés à la mise à disposition du public ou à la diffusion des informations publiques comprennent, le cas échéant, le coût des traitements permettant de rendre ces informations anonymes ne pallie aucune insuffisance du dispositif découlant de la loi elle-même. Aussi la commission estime-t-elle que la date d'entrée en vigueur du décret du 28 juillet 2016 n'a pu retarder celle des dispositions issues de la loi du 28 décembre 2015 ni, dès lors, affecter la portée des dispositions transitoires figurant à l'article 10 de cette loi. La commission en déduit que depuis le 1er décembre 2016 s'applique le régime légal défini au point 2 ci-dessus. 4. Incidence sur la validité des licences et redevances établies avant le 1er décembre 2016 La commission rappelle que tout acte administratif à caractère réglementaire ou contractuel établi conformément aux dispositions de la loi demeure valide et applicable au-delà de l'entrée en vigueur de dispositions législatives nouvelles dans toute la mesure où il reste compatible avec les dispositions nouvelles. La commission en déduit que le passage d'un cadre législatif ancien à un cadre législatif nouveau le 1er décembre 2016 ne saurait avoir entraîné par principe la caducité de l'ensemble des licences et redevances établies en conformité avec le droit antérieur. S'agissant des licences, seules les clauses devenues incompatibles avec le nouveau cadre légal cessent de s'appliquer, de même que les clauses, même légales, qui en seraient indivisibles. S'agissant des redevances, seules les redevances dont le produit total excèderait le plafond déterminé selon les dispositions de l'article L324-2 du code des relations entre le public et l'administration, depuis le 1er décembre 2016, et en outre selon les dispositions des articles R324-4-3 à R324-4-5, à partir du 1er janvier 2017, ne pourraient plus être perçues au-delà de ces dates, respectivement. La commission estime d'ailleurs que, dans ce cas, il serait possible aux collectivités qui avaient institué une redevance dont les bases de calcul ne seraient plus conformes à la loi d'y substituer une redevance mise en conformité, même pour la période séparant les dates des 1er décembre 2016 ou 1er janvier 2017 et la décision de mise en conformité, conformément à la jurisprudence récente du Conseil d'État en matière de redevances pour service rendu (Section, 28 avril 2014, Mme Anchling et autres, n° 357090, décision publiée au recueil Lebon ; 28 mai 2014, Compagnie des bateaux-mouches, n° 359738, décision mentionnée aux tables du recueil Lebon). Demeurent l'obligation d'obtenir une licence, lorsqu'elle a été instituée par l'autorité compétente, et l'obligation de se conformer aux conditions de réutilisation définies par cette licence qui ne sont pas devenues incompatibles le 1er décembre 2016 avec la loi nouvelle. La commission rappelle que le manquement à l'une ou l'autre de ces obligations est passible des sanctions prévues à l'article L326-1 du code des relations entre le public et l'administration. La commission souligne toutefois que le présent avis, de caractère général, relatif à la validité, depuis le 1er décembre 2016, des licences et tarifs de réutilisation établis avant cette date ne saurait préjuger de l'appréciation que la formation restreinte compétente devrait porter en toute indépendance et impartialité, si elle en était saisie, sur les faits invoqués comme constitutifs de manquements aux obligations légales des réutilisateurs relatives à ces licences et redevances.