Avis 20111743 Séance du 26/05/2011

- la légalité des clauses du projet de contrat de licence de réutilisation des informations publiques, à la signature préalable duquel le président du conseil général du Rhône souhaite subordonner la réutilisation des cahiers de recensement et des registres d'état civil par la société Notrefamille.com.
Maîtres S. et M., conseils de la société NotreFamille.com, ont saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 11 mars 2011, à la suite de la décision prise par le président du conseil général du Rhône sur la demande de la société tendant à la réutilisation des informations publiques déposées au service des archives du département du Rhône que constituent les cahiers de recensement de 1801 à 1906, les registres de naissance de 1789 à 1890, les registres de mariage de 1789 à 1906 et les registres de décès de 1789 à 1935. Ils soutiennent qu’en raison du montant de la redevance, trop élevé, et de la durée du contrat, trop brève, la proposition du conseil général du Rhône ne pouvait qu’être refusée par la société NotreFamille.com : en posant ces conditions, le conseil général du Rhône aurait donc, selon eux, pris une décision défavorable à la réutilisation des informations par cette dernière. En réponse, le président du conseil général du Rhône a fait savoir à la commission, par un courriel du 6 avril 2011, que le département entendait abandonner le projet de contrat et renonçait donc à discuter les griefs soulevés par les demandeurs. Le département a également transmis à la commission un projet de règlement général de réutilisation des informations publiques détenues par la direction de ses archives départementales ainsi que de deux modèles de contrat de licence, l’un encadrant la réutilisation non commerciale, l’autre la réutilisation commerciale, tout en précisant que ces documents ne constituaient que des projets et ne revêtaient pas à ce stade de caractère définitif. Sur la compétence de la commission : La commission, qui estime que l’usage que souhaite faire la société NotreFamille.com des informations en cause s’apparente bien à une réutilisation d’informations publiques au sens du chapitre II du titre Ier de la loi du 17 juillet 1978, rappelle que l’article 20 de cette loi lui donne compétence pour émettre des avis « lorsqu'elle est saisie par une personne à qui est opposé (…) une décision défavorable en matière de réutilisation d'informations publiques ». Ainsi qu’elle l’a affirmé notamment dans son avis n° 20100695, cette compétence s’étend aux avis défavorables en matière d’informations publiques figurant dans des documents d’archives publiques, y compris ceux détenus par les services d’archives départementaux. La commission estime que ces dispositions ne lui donnent pas compétence pour déterminer elle-même le juste montant d’une redevance ou la durée adéquate de la licence de réutilisation, ni d’ailleurs, de façon générale, pour se prononcer sur la décision favorable par laquelle l’administration consent un droit à réutilisation. Elle considère en revanche qu’elles lui permettent d’émettre un avis dans les cas où les conditions mises par l’administration à la réutilisation sont à ce point contraignantes pour le réutilisateur potentiel qu’elles s’apparentent en réalité à une décision défavorable en matière de réutilisation d’informations publiques. Sur les conditions de réutilisation proposées par le conseil général : En ce qui concerne la redevance : La commission estime que l’article 11 de la loi du 17 juillet 1978, qui confie aux services culturels, parmi lesquels figurent les services d’archives, le soin de définir les conditions dans lesquelles les informations publiques qu’ils détiennent peuvent être réutilisées, les autorise notamment à subordonner la réutilisation au versement d’une redevance. Dans cette hypothèse, et bien que le même article 11 les autorise à déroger au chapitre II du titre Ier de la loi, elle souligne que le montant de la redevance doit être défini dans le respect des principes généraux du droit, en particulier le principe d’égalité, et des règles dégagées par le juge. En outre, ledit article 11, bien que prévoyant une dérogation au chapitre II, n’interdit pas aux administrations concernées, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, de s’inspirer des principes énoncés par l’article 15 de la loi. A cet égard, la commission estime que le montant de la redevance peut légitimement inclure le coût de production, de collecte et de mise à disposition des informations dont la réutilisation est sollicitée. De même, le montant de la redevance peut tenir compte, le cas échéant, lorsque les informations en cause contiennent des données personnelles que l’administration doit anonymiser préalablement à la réutilisation, du coût induit par une telle opération. En outre, le fait que les services d'archives puissent déroger aux dispositions du chapitre II du titre Ier de la loi ne saurait à lui seul leur interdire d'intégrer dans le montant de la redevance, de la même façon que les administrations soumises à l'article 15 de celle-ci, une rémunération raisonnable des investissements consentis dans ce cadre. De façon plus générale, ainsi qu'en a jugé le Conseil d'Etat dans sa décision Syndicat national de défense de l'exercice libéral de la médecine à l'hôpital et Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (Assemblée, 16 juillet 2007, au Recueil), une redevance peut tenir compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire. En revanche, le principe d'égalité s'oppose à ce que des réutilisateurs se trouvant dans une situation comparables soient traités de manière différente, de même que les principes généraux du droit de la concurrence interdisent la mise en place de conditions tarifaires de réutilisation qui ne seraient pas transparentes et orientées vers les coûts. En l'espèce, la commission relève que le montant proposé à la société NotreFamille.com s'écarte du respect de ces principes directeurs sur deux points. D'une part, s’il ressort des pièces du dossier que le montant de la redevance est basé sur le coût moyen estimé de la numérisation d'une page des documents dont la réutilisation est sollicitée, il en ressort également qu'une part significative des archives en cause a été numérisée à titre gracieux pour le compte du département par une association à but non lucratif. Dès lors, loin de refléter le coût de la mise à disposition des informations publiques comme le prétend le conseil général, ce montant apparaît disproportionné par rapport aux frais effectivement supportés par le département à ce titre. D'autre part, il ressort également des documents fournis par les demandeurs, sans que le conseil général le conteste, que la réutilisation des informations sollicitées a été consentie à titre gracieux à une autre société privée en vue d'un usage commercial, sans qu'il soit fait état d'une différence de situation de nature à justifier une telle différence de traitement. En ce qui concerne la durée de la licence : La commission estime qu'aucun principe n'interdit au conseil général de limiter dans le temps la durée de la licence. Elle estime toutefois que, lorsqu'elle a recours à une telle clause, l'administration doit veiller à adapter le montant de la redevance à la durée de la réutilisation. Elle relève que la durée de réutilisation d'un an à laquelle donne droit en l'espèce la conclusion de la licence reviendrait à faire payer chaque année au réulilisateur un montant qui, ainsi qu'il a été dit, semble excéder de loin le coût de production, de collecte et de mise à disposition des informations ainsi qu'une valorisation raisonnable des investissements réalisés et du bénéfice escompté pour le réutilisateur. La commission déduit de l'ensemble de ces circonstances que les conditions de réutilisation proposées à la société NotreFamille.com par le conseil général s'apparentent à une décision défavorable à la réutilisation, à l’appui de laquelle aucun motif d'intérêt général n’est invoqué. La commission est, par suite, d'avis que la convention contestée ne saurait être mise en œuvre et invite le président du conseil général à tenir compte, dans le projet de règlement en cours d'élaboration, dont elle ne s'estime pas formellement saisie, des principes directeurs énoncés ci-dessus.